Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1844 > Novembre > 14

14 novembre [1844], jeudi matin, 9 h. ¾

Bonjour, mon bon petit Toto, bonjour, mon cher petit homme adoré, je t’aime. Comment que ça va ce matin ? J’espère que tu viendras me voir aujourd’hui. Je ne veux pas rester comme hier sans te voir toute la journée. C’est trop ennuyeuxa et trop triste. Si tu vas à l’Académie tu ne peux pas ne pas monter me baiser, ça serait trop méchant. Quand je pense que je ne te vois qu’un pauvre petit moment le soir cela me donne du découragement et du chagrin. Autrefois tu venais déjeuner au moins une fois par semaine avec moi. Maintenant tu ne viens plus jamais. À quoi cela tient-il ? À ton travail ? Mais tu as toujours travaillé. Évidemment cela tient à autre chose que je crains de deviner. Pauvre amour je ne veux pourtant pas te tourmenter et dans ce moment-ci surtout. Je suis une vieille jalouse. Ne m’écoute pas et aime-moi ça vaudra bien mieux. Je te le permets.
À propos mon cher petit homme je ne veux pas que tu me prives de copie et que tu en donnes à personne autre que moi. Ce n’est pas de tenir une plume qui me fait mal à la main, j’en suis sûre maintenant. Ainsi mon cher petit homme, ne me fais pas le mauvais tour de donner à copier chez toi tandis que je suis là et que je n’ai pas d’autre bonheur en ton absence. Pense à moi, mon Toto chéri, je te le rendrai en ne te quittant pas de la pensée et du cœur. Regrette-moi un peu, je te désire de toutes mes forces. Aime-moi, je t’adore. Tâche de venir avant d’aller à l’Académie, tu me donneras du courage pour toute la journée. En attendant je baise ta belle petite figure dans ses moindres détails en commençant par tes petits pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 51-52
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « ennuieux ».


14 novembre [1844], jeudi soir, 5 h. ¾

Depuis que tu m’as quittée, mon cher petit homme, je suis dans les arias [1] d’un savonnage c’est-à-dire de l’eau dans les pieds et de l’eau sur la tête. Ma maison est convertiea en mareb et en douche. Du reste je sais que cela ne me convient pas beaucoup dans ce moment-ci et pour cause. J’ai mal choisi mon moment. Il est vrai que je ne l’ai pas choisi du tout. Cher bijou, je t’attends. J’espère que tu viendras avant d’aller dîner : du reste c’est un vœu presque féroce que je fais là car cela peut te faire du mal si tu viens pendant que nous serons dans la salle à manger. Mais je ne t’y laisserai pas entrer, je viendrai avec toi dans ma bonne petite chambre chaude. Je t’ai acheté du très beau raisin aujourd’hui. Tu ne t’en apercevras que demain parce que ce soir tu ne mangeras que les grains tombés. Quant à moi j’enraye ma gueulardise parce que j’ai eu trop mal à l’estomac cette nuit. Décidément les fruits ne me vont pas le soir. Ia, ia Monsire Matame c’est bien intéressant ce que je te dis là, mon Toto. Dépêche-toi de venir ça fait que je ne dirai plus tant de niaiseries. À propos de niaiseries un second Robert Macaire [2] est venu reprendre l’atlas [3] et me faire des offres de service pour un tas de cartes plus ou moins cartonnées. Je l’ai envoyé se promener vivement, trop heureuse d’en être débarrassée. Je ne sais pas si c’est bien drôle non plus ce que je te dis là mais j’ai le cerveau ramollic de toute l’eau que j’ai reçued tantôt sur la tête. Heureusement que j’ai fini et que ce que j’ai à te dire d’important se résume en ces deux mots : je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 53-54
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « converti ».
b) « marre ».
c) « ramolis ».
d) « reçu ».

Notes

[1Arias : « embarras » (pop.)

[2Personnage de traître dans le mélodrame L’Auberge des Adrets (1823), qui eut un grand succès, et auquel Frédérick-Lemaître, interprète du rôle-titre, donna une suite en 1834, Robert Macaire.

[3Deux jours plus tôt un homme à qui Juliette a ouvert sa porte lui « a laissé entre les mains » sans attendre sa réponse « un atlas cartonné très fané et très fripé ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne