14 juillet [1837], vendredi matin, 8 h. ½
Bonjour cher petit homme, il paraît que vous n’aviez pas d’autre lettre à venir chercher cette nuit [1] et que l’agrément particulier de ma personne ne suffit pas pour vous faire revenir sur vos pas ? C’est peu de chose, mais c’est TRÈS JOLI. Avec cela vous ne me ferez pas d’enfant. On n’est pas plus attentionné que vous. Tu sais que je t’ai parlé hier de la coïncidence de ma pensée avec la lettre de Lamartine [2], eh bien on dirait que c’est moi qui ai dicté sa lettre, ce sont les mêmes pensées ORNÉES, voilà tout. Elle est charmante sa lettre et par-dessus tout, vraie. Si tu le permets, je la garderai. Quel dommage que je ne sache pas ASSEZ ÉCRIRE. Je t’écrirais tout ce que je sens, et quelle quea soit ta satiété, tu y prendrais goût et tu m’aimerais d’être plus qu’une pauvre bête d’amoureuse. Il me prend des tristesses de ma bêtise et de mon ignorance, parce que je sens bien que l’espèce d’attrait que j’avais pour toi s’en va tous les jours un peu, et que tu finiras par ne plus pouvoir me souffrir. C’est bien triste et bien décourageant. Je t’aime tant, et j’ai tant besoin de ton amour pour vivre. Quand donc m’apporteras-tu ta croix [3] ? Je voudrais l’avoir pour la porter. Si l’on récompensait l’amour par l’honneur, j’aurais le droit de porter le plus grand cordon [4] de France. Je t’aime, mon Victor. Je t’attends presque à coup sûr. J’aurai les ouvriers [5], c’est si attrayant.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 49-50
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « quelque ».
14 juillet [1837], vendredi soir, 9 h. ½
Je vous aurais écrit beaucoup plus tôt, mon cher petit homme, si Mlle François n’était pas tombée comme une bombe au milieu de mon remue-ménage. Je lui ai donné à dîner et puis j’ai fait des cancans avec elle dont vous aurez les coups et les contrecoups. Je vous en préviens. En attendant, je remarque que mon lit a gagné cent pour cent à ce changement. Que sera-ce donc quand les PANACHES [6] y seront ! Maintenant je vais me faire reposer ma tenture afin d’avoir le bonheur de vous voir. Je ne suis sûre à présent de vous voir que lorsque j’ai les ouvriers chez moi. C’est donc un moyen que je peux employer car vos MOYENS VOUS LE PERMETTENT. Je t’aime mon cher petit bien-aimé et l’ortografe de M. PINTE [7] ne t’en donnerait qu’une bien faible idée, en y mettant tous les q de l’alfabête QOMME cela. Je trouve d’ailleurs que c’est un mauvais assaisonnement que la nouvelle sauce que [cet ?] OMME a ajoutée à la grammaire. Je suis absolument comme toi tantôt lorsque tu écrivais à Lamartine, je ne peux pas faire une lettre sans l’orner d’un pâté. C’est généreux n’est-ce pas ? Voilà QOMME je faisa. Vraiment c’est hideux mais je n’ose pas recommencer une autre lettre, je serais encore plus bête que dans celle-ci, et il n’est pas sûr que je ne l’enfouirais pas encore sous les nuages d’encre qui obscurcissent celle-ci. Je t’aime, je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 51-52
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) La première lettre de ce mot est effectivement recouverte d’un pâté, peut-être intentionnel cette fois.