Guernesey, 18 septembre 1858, samedi matin, 7 h.
Bonjour, mon bien-aimé, bonjour je t’aime. J’espère que tu as bien dormi et que tout va bien ce matin ? Encore deux ou trois jours de douloureuses étapes et tu seras arrivé à la station santé. C’est en voyant les subites et terribles catastrophes comme celles d’avant-hier [1] qu’on se trouve heureux de n’avoir eu qu’à souffrir. Quand je songe qu’un pareil malheur pouvait t’arriver le jour où tu es allé avec Hetzel [2] et Noël [3] à Herm [4], je n’ai pas assez de reconnaissance pour remercier Dieu de m’avoir épargné ce malheur irrémissible même aux prix des trois mois de tortures atroces que tu as endurées, et moi peut-être plus encore que toi si c’est possible car ce que tu avais dans la chair je l’avais dans l’âme et dans le cœur. Grâce au ciel, tout est fini, ou bien près de l’être, tandis que rien ne rendra la vie à ces pauvres êtres disparus hier pour toujours. Aimons nous, mon Victor, serrons nos deux âmes l’une contre l’autre afin que le même souffle les berce dans cette vie ou que le même tourbillon les emporte dans l’autre. J’ai le cœur plein d’amour et d’attendrissement qui déborde en prières à Dieu pour ta santé et pour ton bonheur, mon pauvre adoré, et mes baisers et mes caresses sont faitsa de bénédictions que je t’envoie en attendant que tu viennes toi-même les chercher sur mes lèvres. Jusque-là, soigne-toi bien, pense à moi et aime moi. Je t’adore.
Bnf, Mss, NAF 16379, f. 265
Transcription d’Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette
a) « faites ».