7 mars 1879

Paris, 7 mars [18]79, vendredi matin, 9 h.

Cher bien-aimé, d’après Mariette tu n’as pas encore passé une bonne nuit, ce qui est bien regrettable, sinon pour toi, qui n’a aucun souci de ta santé, mais pour moi qui fais la joie ou la tristesse de ma matinée de plus ou moins de sommeil de ta nuit. Heureusement je viens de constater tout à l’heure, en t’envoyant un baiser des yeux et de l’âme, que tu dors à poing fermé d’un sommeil très doux et très régulier, ce qui me ravigote^a un peu. Et puis il fait un temps charmant et un soleil à ressusciter les morts. Et à ce propos, je te demande si tu n’as pas changé d’avis depuis hier pour le Sénat ? Irons-nous ? N’irons-nous pas ? Quant à moi j’aimerais mieux que nous nous promenASSIONS, est-ce assez académique ? une heure ou deux tantôt en voiture. Nous pourrions, même, utiliser cette promenade à recompléter le service des verres grands et petits et celui de la table qui manque d’assiettes grandes et petites et de plats idem. Il va falloir aussi acheter du linge de table et de maison et de corps et cela le plus tôt possible si nous ne voulons pas en manquer et si nous ne voulons pas que ce soit remarqué par des yeux plus ou moins bienveillants. Pour cela il faut profiter d’un beau jour et de pas de Sénat. Maintenant que je me suis acquittée de ma fonction de mouche du coche je reviens à mon cher mouton auquel je livre mon cœur en pâture : je t’adore.

[Adresse :]

Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF, 16400, f. 67
Transcription de Chantal Brière

a) « ravigotte ».