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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 octobre [1844], mercredi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon bon petit Toto, bonjour, mon cher amour adoré, bonjour, bonjour, comment vas-tu ce matin ? Moi je ne vais pas, mes yeux sont toujours de mal en pire. Cependant, je vais très bien du reste, et si tu étais avec moi, je ne m’apercevrais pas que j’ai mal aux yeux et que j’en souffre.
Je n’ai pas manqué, hier, de payer les deux heures de bonheur que tu m’avais données dans la journée par toute une grande soirée de solitude. C’est traditionnel et Bernard n’avait pas besoin de se déranger pour que cela fût. Il se serait toujours trouvé là quelques bons empêchements pour m’empêcher d’avoir deux fois la même joie dans la journée. Je devrais y être habituée mais je ne le suis pas du tout et je sens que je ne m’y habituerai jamais. Le jour où cela arriverait, c’est que je ne t’aimerais plus, c’est que je seraia morte.
Je ne sais pas si tu pourras venir aujourd’hui, mon Toto chéri, cependant, j’ai bien besoin de te voir. J’ai le cœur gros de t’avoir si peu vu et si mal reçu. Non pas du cœur, ce qui est impossible, mais de la parole. Je souffre quand le sommeil me gagne. Je suis dans un état hideux et je le montre par d’affreux grognements. C’est ce qui m’arrive presque chaque fois que tu viens et que ma lampe est éteinte. Je t’en demande pardon, mon adoré. Je sens que c’est peu aimable et peu encourageant pour toi. Mais voici les veillées auprès du feu qui vont commencerb et alors cet inconvénient n’existera plus et je serai RAVISSANTE. VOIME, VOIME.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 257-258
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « serais ».
b) « commencer ».


16 octobre [1844], mercredi soir, 8 h. ¼

Mon Toto, mon ange, mon doux bien-aimé, mon ravissant Toto, j’ai le cœur qui déborde d’amour et d’adoration pour toi. Je voudrais avoir ton génie pour te le dire d’une manière digne de toi. Je sens combien mes paroles sont insuffisantes pour exprimer ce que j’éprouve et j’en suis toute honteuse. Cependant, ce n’est pas de ma faute.
Je te dirai, mon Victor adoré, que mon œil va mieux ce soir. Tout à fait mieux. Je crois que le vinaigre de Bully [1] m’a fait grand bien. Si tu viens me chercher ce soir, je sortirai pourvu que tu ne viennes pas trop tard car je suis un peu courbaturée. J’aimerais mieux que tu restasses avec moi si cela se pouvait. Mais enfin, si cela ne se peut pas, j’aime mieux sortir que de ne pas te voir. Je t’ai regardé en aller ce soir, mon amour, et je t’ai envoyé des baisers tout le long de ma rue. Les as-tu sentis seulement ? Ce qu’il y a de sûr c’est que tu ne t’es pas retourné pour voir si j’étais à mon poste. C’est très vilain à vous. Taisez-vous, je n’admets pas les excuses. Ce soir, je vous ficherai des bons coups pour vous apprendre à ne pas m’aimer mieux que ça et pour peu que vous m’échauffiez les oreilles, je vous forcerai à faire la GRANDE MANŒUVRE. D’abord parce qu’il n’y a que les ZONTEUSES qui perdent. Baisez-moi, cher petit monstre, et dépêchez-vous plus vite que ça. Demain, je ferai ouvrir ma cheminée et puis je me ferai apporter des gros canevas et je vous ferai un fauteuil avec vos armoiries dessus. Si vous n’en voulez pas, je le garderai pour moi et voilà.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 259-260
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Jean-Vincent Bully était un parfumeur français établi à Paris de 1803 à 1830 et qui donna son nom au « vinaigre de Bully ».

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