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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 avril 1849

5 avril [1849], jeudi matin, 7 h. ¼

Bonjour, mon petit homme bien aimé, bonjour, dormez, il fait sombre et froid. C’est le moment de rêver soleil et bonheur, dormez. Avec tout cela je ne suis qu’à moitié satisfaite car depuis quelque temps je suis obligée de partager le pauvre petit moment que vous me donnez avec un tas de braves gens qui n’en n’ont pas besoin et pour qui cet honneur n’est qu’une superfluité qui n’ajoute riena à leur bonheur tandis que pour moi vous voir une minute c’est le bonheur de tout un grand jour. Il est donc souverainement injuste à la providence de me forcer à partager cette minute entre plusieurs quand j’en ai à peine assez à moi toute seule. Aussi je m’en plains dès le matin avec force grogneries. Du reste, cela vous est bien égal à vous, gros indifférent, et même vous n’êtes pas fâché au fond de vous soustraire honnêtement à mes tendresses intempestives. Je le sais bien et ce n’est pas ce qui m’enrage le moins. Taisez-vous, vilain homme, et prenez garde que je ne vous donne pas ma voix aux prochaines élections. Vous riez, ehb bien méfiez-vous, je ne vous dis que ça et faites-moi une cour assidue si vous tenez à votre réélection. En attendant je continue de n’être pas contente et je supplie le hasard, et celui qui le dirige, de faire que je puisse jouir à mon aise, en égoïste et sans gêne du pauvre petit moment de bonheur que vous pouvez me donner. C’est bien le moins puisque je n’ai plus que celac qu’on ne me l’écorne pas. Si vous êtes juste vous devez le reconnaître. Baisez-moi et dormez encore.

Juliette

MVHP, MS a8180
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

a) « n’ajoute à rien ».
b) « et ».
c) « plus cela ».


5 avril [1849], jeudi matin, 11 h.

Tu me fais apprêter de bien bonne heure, mon amour. Est-ce que tu comptes sérieusement aller à l’Assemblée si tôt que cela ? Je serai prête dans tous les cas, mais je crois que ce sera de la précaution inutile et que tu ne viendras pas avant l’heure de l’Académie. Si cette supposition t’offense, je t’en demande mille fois pardon. Cher petit homme, depuis hier au soir, j’ai un surcroît d’admiration et de tendresse que je retiens dans la crainte de le défigurer en le traduisant par des mots. Cependant, je me hasarde à te dire que tu as fait un beau et généreux discours et que j’ai pleuré en le lisant [1]. Une partie de ma vie se passe à aimer d’amour ta ravissante figure, tes belles mains et ton charmant petit pied. L’autre moitié à te vénérer, à t’admirer et à te bénir. Je sens toutes tes perfections humaines et divines avec tout ce que j’ai de cœur, d’intelligence et d’âme. Je voudrais être belle pour te plaire, je voudrais être forte pour te servir, je voudrais être puissante pour être ton esclave, je voudrais être ange pour te protéger et te bénir. Je profite de la seule occasion que j’aie de te dire tout ce que j’ai dans le cœur. Nous nous voyons si peu que c’est à grand peine que j’ai le temps de te donner un pauvre petit baiser en courant. Heureusement pour moi que le papier est plus patient et de meilleure composition et qu’il souffre sans se plaindre toutes les adorations dont je l’accable. Aussi, j’en use et j’en abusea sans pitié. Qu’est-ce que vous avez à dire, cela ne vous regarde pas.

Juliette

MVHP, MS a8181
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

a) « abuses ».

Notes

[1Le 3 avril, Hugo a prononcé à la Chambre des députés un discours sur la liberté du théâtre (Actes et paroles, I) et est intervenu « Sur les secours aux artistes » (Actes et paroles, I, note 7).

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