29 septembre [1848], vendredi soir, 6 h.
Mon cher petit homme, je suis rentrée dans un état de malaise général et dans lequel les douleurs aiguës de mon pied allaient crescendo [1]. J’ai cherché dans ma mémoire quel remède efficace je pourrais appliquer à mes mille maladies et je n’en ai pas trouvé d’autre qu’un bain dans lequel je me suis plongée deux heures sans grand succès, du moins jusqu’à présent. Cependant j’espère qu’une nuit de repos m’enlèvera cette excessive sensibilité du pied et que je pourrai aller au rendez-vous demain. D’ici là, je te fais préparer à souper avec l’affreuse crainte que tu ne viennes pas le manger. Je crois que toutes ces attentes, toutes ces déceptions, toutes ces mystifications et toutes ces complications sont pour beaucoup, si ce n’est pour tout, dans l’état d’irritation nerveuse dans lequel je suis. Personne ne saura jamais les souffrances que me causent les commissions, les séances, les déménagements, les audiences et les dîners en ville et dans la banlieue. Si toutes ces blessures laissent des cicatrices sur le cœur, le mien doit ne plus avoir de place pour en recevoir d’autres, depuis si longtemps que le guignon l’a pris pour cible. Quant à toi, mon pauvre adoré, tu es en dehors de toutes les malédictions que j’adresse au mauvais sort, à Dieu et au diable. Je t’adore quand même.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16366, f. 325-326
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette