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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 juillet [1848], mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon aimé petit homme, bonjour, mon adoré petit Toto, bonjour. J’ai oublié de te dire hier au soir de m’être bien fidèle et de ne pas trop regarder les femmes dans les loges. Vous n’aurez sans doute que trop profitéa de mes distractions, scélérat, et Dieu sait jusqu’où vous aurez poussé l’abus de la bride sur le cou. Tâchez cependant que je ne le sache pas car quoique je sois un peu dans mon tort je suis capable de vous en punir avec encore plus de férocité. J’ai bien amèrement regretté de n’avoir pas deviné hier que tu viendrais avant l’heure du spectacle parce qu’au lieu de m’éreinter à promener Suzanne et de me déshabiller de fond en comble je t’aurais attendu et je t’aurais conduit jusqu’à la Porte-Saint-Martin [1]. Je n’ai vraiment aucune bonne chance et je passe sans cesse en vue de ce que je désire le plus sans pouvoir y toucher. Cette manière de passer la vie à quelque chose de profondément irritant et qui ferait jeter cent fois par jour le manche après la cognée si on ne gardait pas quelques secrètes espérances de bonheur et d’amour. Aujourd’hui, ce qui me soutient, c’est l’espoir de te voir tantôt.

Juliette

MVH, 8117
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « profiter ».


26 juillet [1848], mercredi midi

Je fais mes préparatifs pour aller vous trouver, mon cher petit homme, et je voudrais bien que par un hasard providentiel vous ayez beaucoup plus d’un quart d’heure à me donner. Je le désire sans y compter car je sais trop tout ce que vous avez à faire y compris les chiens que vous avez à fouetter. Hier j’avais envie d’aller acheter une contremarque à la Porte-Saint-Martin pour vous prendre en flagrant DÉLIRE d’infidélité et pour vous donner une pile s’il y avait lieu. Je ne l’ai pas fait par prudence et pour ne pas faire une concurrence fâcheuse à la giflea de Tragaldabas. Si le sieur Vacquerie ne m’en garde pas une vive reconnaissance il sera dans son tort car c’est à son intention seule que je me suis désistéeb de ce projet délicat et bienveillant. Tout à l’heure tu me diras si j’ai bien fait et comment le public a accueilli la susdite pièce. Maintenant que je ne suis plus sûre de t’accrocher à la représentation je n’y tiens plus du tout et n’était le besoin de faire une politesse au père Cacheux. J’y renoncerais avec enthousiasme mais je n’ai pas d’autre manière de remercier cet excellent bonhomme c’est pourquoi je te prie de me donner une loge le plus tôt possible. J’aimerais mieux une bonne culotte, fût-ce même dans une île avec vous. Malheureusement je n’ai pas le choix, ce dont je bisque.

Juliette

MVH, 8118
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « giffle ».
b) « désisté ».

Notes

[1Le drame bouffon d’Auguste Vacquerie, Tragaldabas, représentée la veille pour la première fois sur la scène du théâtre de la Porte-Saint-Martin, a subi un échec retentissant.

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