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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 mai [1848], mardi matin, 8 h.

Bonjour, mon petit homme, bonjour le meilleur, le plus doux, le plus grand et le plus charmant des hommes mais le moins amoureux..... de moi, bonjour. Si j’en crois Ninon de Lenclos [1] vous seriez bien prêt de me haïr, si comme elle le dit : l’homme qui donne son temps à sa maîtresse fait preuve d’amour... d’où on peut conclure que celui qui ne le lui donne pas fait preuve de… rien du tout. Et de l’indifférence à la haine il n’y a qu’un pas. Donc vous êtes très près de me détester. Je voudrais seulement en être bien sûre pour vous débarrasser de moi le plus tôt possible. Ce n’est pas en s’imposant qu’on obtient de l’amour et j’aime mieux mille fois la mort que de vivre sans ton amour. Maintenant que cette profession de foi est bien démontrée, je te supplie de ne pas te gêner et de me dire la chose naïvement et simplement puisqu’aussi bien je la devine plus d’à moitié. Je ne sais pas si c’est l’influence de la nouvelle lune, le beau soleil, les oiseaux et les fleurs qui me font paraître ton indifférence plus lugubre ce matin, mais je suis triste et découragée comme si j’étais sûre que tu ne m’aimes plus.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 153-154
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
[Blewer, Souchon]


2 mai [1848], mardi, midi ½

Cher adoré bien-aimé, voici enfin le beau temps revenu dans le ciel. Que n’en est-il de même pour notre amour. J’ai beau regarder des yeux de l’âme à l’horizon je ne vois que des vilains nuages gris et menaçants pour notre amour et pour notre bonheur. Cependant je ne t’ai jamais plus aimé. Mais cela ne suffit pas, je ne le sais que trop. Depuis longtemps j’espérais que cette froide température qui glace toutes nos joies redeviendrait plus clémente pour nous mais maintenant je n’espère plus rien. La vie ne se renouvelle pas dans l’homme comme dans la nature et quand le soleil a disparu de son horizon, c’est pour ne plus revenir. C’est bête comme tout ce que je te dis là [2]. Aussi n’ai-je pas la prétention de t’éblouir par la profondeur de mes pensées. Je te dis ce que je sens comme cela vient. Le malade qui se plaint dans son lit ne songe pas à prendre des attitudes héroïques. Moi je souffre dans l’âme et je me plains comme je peux sans craindre le ridicule d’un mot mal employéa et d’une phrase burlesque. Je regrette notre bonheur perdu et qui ne reviendra plus. Je regrette nos voyages, nos promenades, nos nuits et nos jours, TOUT [3].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 155-156
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « emploié ».

Notes

[1Ninon de Lenclos (1620-1705) est une courtisane, femme d’esprit et femme de lettres française influencée par les idées épicuriennes. Elle est le symbole de la femme cultivée et indépendante, reine des salons parisiens, qui représente l’évolution des mœurs des XVIIe et XVIIIe siècles. On lui connaît plusieurs recueils de lettres dont les Lettres de Ninon de l’Enclos au marquis de Sévigné.

[2Citation de Ruy Blas à l’Acte IV, scène 3, v. 1703. Don Cesar s’adresse en ces termes au laquais.

[3Juliette Drouet n’a pas quitté la capitale depuis son excursion normande d’octobre 1847.

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