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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Paris, 14 déc[embre 18]78, samedi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher grand aimé, et avec tous les compliments de la saison comme on dit à Guernesey. Ce matin ces compliments sont accompagnés de givre et de neige à rendre le Mont-Blanc jaloux et à faire entrer les ours en danse. Une lettre de Mme Lockroy qui viendra dîner ce soir avec son mari et le docteur Broca, qu’elle a invité avec ta permission. Elle te prie, si tu vas chez Bonnat aujourd’hui, de passer chez Voillemot qui désirerait avoir ton avis sur les portraits de tes petits-enfants qu’il est en train de faire. Il demeure tout près de Bonnat : boulevard Clichy, 75 et sera chez lui toute la journée. Reste à savoir si les voitures pourront marcher tantôt car déjà celles qui passent ici ce matin ont beaucoup de peine à se tenir sur la neige durcie et verglaçantea. Quant aux rares passants ils paraissent tous en proie à la danse de saint Guy, ce qui manque de gaietéb, même pour ceux qui, comme moi, sont commodément assis à l’abri et en regard d’un bon feu. Au reste tu en jugeras toi-même le moment venu. Jusque là je te conseille de te tenir le plus longtemps et le plus chaudement possible sous tes couvertures. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF, 16399, f. 207
Transcription de Chantal Brière

a) « verglasante ».
b) « gaité ».


Paris, 14 déc[embre] [18]78, samedia matin, 8 h. ½

Voilà ce que je craignais, mon pauvre grand bien-aimé, trop aimé, une mauvaise nuit pour toi et tu l’as eueb ! Quand donc, mon Dieu, ferez-vous cesser la sinistre tourmente déchaînée sur notre vie depuis plus de quatre mois [1] ? Vous seul le savez, ô mon Dieu, et vous savez aussi que je suis à bout de force et de courage, de foi et d’espérance. Je vous livre ce qui reste de mon cœur déchiré et de mon âme en lambeaux. Faites-en ce que vous voudrez ; mais, par pitié pour celui que j’aime, faites vite. Délivrez-le au plus tôt de moi si je suis un obstacle à son bonheur ou rendez-le moi corps, cœur et âme si vous voulez que je vive. Mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu ! ayez pitié de nous en la manière qu’il vous plaira mais que ce soit tout de suite ! Ne prolongez pas des souffrances qui n’ont pas de nom dans la langue humaine ! Rendez-nous la confiance mutuelle, le mutuel amour, le mutuel bonheur, la mutuelle éternité ! Ayez pitié de nous, délivrez-nous, sauvez-nous !
Cher, cher bien-aimé, trop aimé, pardonne-moi si je t’afflige. Pardonne-moi mon inflexible amour, pardonne-moi de préférer la mort sous toutes ses formes à la torture de te céder, pour si peu que ce soit, à une autre femme. Si tu savais ce que je souffre en ce moment en t’écrivant cela, tu comprendrais combien et comment je t’aime. Je voudrais pouvoir disparaître sans témoin, sans bruit, de ton horizon afin de te laisser libre d’être heureux comme tu l’entends sans cesser de t’admirer, de t’adorer et de te bénir.

BnF, Mss, NAF, 16399, f. 208
Transcription de Chantal Brière

Notes

[1Les infidélités de Hugo ont été découvertes par Juliette, en particulier sa liaison avec Blanche Lanvin.

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