Paris, 18 nov[embre] [18]78, lundi matin, 6 h.
Mon cher bien-aimé, trop aimé, je t’envoie mon bon bonjour par anticipation car il fait encore nuit noire et j’espère que tu dors en ce moment de toutes tes forces et à poing fermé. Quant à moi, je ne dors ni ne veille et sans le besoin persévérant de t’aimer je ne saurais pas, en vérité, distinguer la vie de la mort. Mais cela importe si peu que je ne t’en parle que pour arriver en rampe douce à un fait qui intéresse le monde entier, la première mise en train aujourd’hui de la publication de Toute la Lyre. Ceci est un fait si considérable que morts et vivants en tressaillent sur la terre et au ciel. Moi, qui participe des deux, je prends double part à l’allégresse universelle et je te dis : merci ! sois béni ! que le bonheur soit avec toi et avec ceux que tu aimes, ainsi soit-il ! Mais voici que
L’aube blanchit les toits
L’eau course sous les feuilles
Et l’on entend des voix
Du ciel dans les bois
Si vous voulez des flammes,
Si vous voulez des fleurs,
Si vous voulez des fleurs,
Cherchez dans les âmes,
Si vous voulez des fleurs,
Cherchez dans les cœurs [1].
Ce conseil n’est pas à la portée de tout le monde et il est plus facile de le donner que de le suivre. Bénies soienta ta bonne intention et ta poésie sublime. Je t’aime.
BnF, Mss, NAF, 16399, f. 183
Transcription de Chantal Brière
a) « Béni soit ».