Jeudi, 1er janvier [1846], huit heures du matin
À toi ma première pensée et ma première action, mon adoré. À toi mon souffle, à toi ma vie, à toi tout mon amour. Je ne te verrai pas ce matin, mon cher bien-aimé car tu as ta visite à faire au roi mais j’attends ta chère petite lettre avec une impatience [1] que tu ne peux pas comprendre parce que tu ne peux pas m’aimer comme je t’aime, c’est impossible. Je me suis réveillée d’heure en heure pour savoir quand je pourrai me lever. Il me semblait que cela ferait arriver cette chère petite lettre plus tôt. Cependant il n’est pas probable que tu l’aies mise à la poste cette nuit. Enfin si de la désirer pouvait lui donner des ailes il y a longtemps déjà qu’elle serait sur mon cœur. Je viens de donner les étrennes à Suzanne ; je lui ai donné 15 Francs. Je regarde cela comme une justice pour le surcroît de besogne qu’elle a depuis que je demeure ici. Tout à l’heure j’enverrai le 5 Francs du portier. Quant aux étrennes de Claire je veux que tu les lui donnes toi-même. Cette chère enfant paraît toute contristée de l’indifférence affectée de son père [2]. Il est scandaleux en effet qu’il fasse ostensiblement des générosités folles autour de lui quand il ne daigne pas donner un souvenir à sa fille. Enfin cet homme est incompréhensible car d’un autre côté il accepte d’elle avec une apparence de bonheur tous les petits travaux, toutes les marques de tendresse et de déférence qu’elle lui prodigue. Je n’y comprendrai rien. Je viens de lui faire une petite leçon à ce sujet afin qu’elle ne s’attache pas à trouver dans son père ce qui n’y est pas. Je lui ai fait ressortir la marque d’affection de ses élèves, enfin j’ai tâché d’établir un contrepoids par ce petit hommage à l’oubli et à l’indifférence de son père. Je vais écrire tout à l’heure à Mme Rivière que je n’irai pas chez elle aujourd’hui. Je ne veux pas manquer par ma faute une seule minute le bonheur de te voir. C’est bien trop déjà que je ne puisse pas te forcer à venir toute la journée. Jour Toto, jour mon cher petit o je vous aime, je finis mon année par là et je la recommence sur de nouveaux frais d’amour et d’adoration. Tâchez que ma chère petite lettre ne se fasse pas trop attendre, je vous en supplie de toutes mes forces.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16362, f. 1-2
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette
[Siler]