18 août [1841], mercredi soir, 4 h. ¼
Est-ce que tu es parti fâché, mon amour ? Il m’a semblé que tu me boudais au moment où tu descendais l’escalier. Si je m’en étais aperçuea plus tôtb je ne t’aurais pas laissé partir avec cette petite bouderie dans l’esprit, malheureusement je ne pouvais pas courir après toi ; dorénavant, mon Toto, il ne faut pas tenir compte de mes petites impatiences qui ne sont qu’à la surface et pas du tout sérieuses. Je bougonne ou je chante sans rime ni raison, tu dois savoir cela depuis neuf ans bientôt que je t’aime comme jamais homme n’a été et ne sera aimé avant et après toi [1]. Je te défends de te fâcher ou bien je te ficherai des coups sur ton nez. Mon cher petit GODENBOUCK (je crois que ce n’est pas comme ça que ça s’écrit mais je ne m’en souviens plus) [2], apportez-moi vite de la copie et je vous pardonne tous vos forfaits. Quel bonheur si vous pouviez venir comme hier dîner avec moi et me mener à Ruy-Blas [3]. Quel bonheur !!! D’ailleurs cette petite apparition quotidienne est presque indispensable pour tes intérêts, mon adoré. Outre mon plaisir et mon bonheur que je ne fais pas entrer en ligne de compte, les acteurs ont besoin de ta présence pour les encourager et les stimuler, les directeurs pour les contenir et les empêcher de faire de certaines perfidies [4]. Enfin, mon Toto, moi hors de la question, je t’assure qu’il est très nécessaire que NOUS allions un peu tous les soirs à Ruy-Blas. Voilà du reste un fichu beau temps qui vient fort mal à propos tirer la recette par les pieds. C’est cependant bien beau du vilain temps et une belle salle remplie comme celle d’hier. Cependant rien ne dit que la recette de ce soir sera moindre de celle d’hier, je suis sûre du contraire et mes craintes ne sont que pour l’avenir.
M’aimes-tu scélérat ? M’aimes-tu brigand ? Moi je t’adore et je baise tes chers petits pieds blancs.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 157-158
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « apperçu ».
b) « plutôt ».