Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1841 > Août > 11

11 août [1841], mercredi matin, 11 h. 

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher bien-aimé. Je t’écris tout de suite une grosse lettre pour avoir tout le temps de copier et de m’habiller un peu pour ce soir [1], quoique je t’avoue que j’y ai peu de goût, sachant que je ne te verrai pas et que je ne vivrai pas. J’ai le cœur plein de tristesse et si un bon génie pouvait m’enlever tout de suite bien loin d’ici, je me laisserais faire avec volupté car ma vie ici me semble odieuse et insupportable. Je me soulage sur cette lettre en te disant ce que je souffre car le plus que je peux je te le cache pour ne pas t’ennuyera. Dieu sait et mon traversin ce que j’ai de désespoir dans l’âme et de larmes dans les yeux. Mais en voilà assez, d’ailleurs quand tu liras cela le plus fort de la crise sera passée et je me préparerai de nouveau à recommencer à souffrir à la première occasion qui ne tardera pas à se présenter.
J’étais bien absurde cette nuit, n’est-ce pas mon Toto ? Mais que veux-tu, je ne peux pas vaincre un affreux sommeil douloureux qui s’empare de moi à force de t’entendre froisser du papier et écrire sans me dire un mot tout le temps que tu es auprès de moi. Il faudra que je trouve un moyen d’empêcher cela car à ce compte je n’entendrais pas un mot de ta bouche en trois jours, ce qui ne m’arrangeraitb pas du tout. Je ne me coucherai pas et je ne m’assoieraic pas tout le temps que tu corrigeras tes épreuves, de cette façon je résisterai à cette affreuse somnolence qui m’exaspère.
Je n’ai pas osé te dire hier d’envoyer cette loge à M. Pradier [2] dans la crainte de te déplaire mais peut-être ne serait-il pas inutile d’établir tout naturellement entre lui et toi des relations de bons procédés qui forcentd l’homme qui les reçoit à se bien conduire pour autre chose plus tard [3]. Au reste il n’est plus temps maintenant, ce que je te dis est donc pour souvenir. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 137-138
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ennuier ».
b) « arrangerais ».
c) Il semblerait que la forme soit attestée à l’époque, quoique peu élégante.
d) « force ».

Notes

[1Ruy Blas,est reprise à la Porte-Saint-Martin le soir même, le 11 août 1841, avec Frédérick-Lemaître et Raucourt, pour de nombreuses représentations et le soir même, Juliette va assister à la première.

[2Juliette a déjà demandé des places et des loges pour Mme Krafft et sa sœur ainsi que pour Mme Triger.

[3Pradier a promis à Juliette en janvier qu’il « paierait sans faute tout l’arriéré de la pension de sa fille » en mars-avril, mais elle attend toujours. Elle en est en général réduite à demander à Hugo d’user de son influence auprès de Pradier pour le convaincre de respecter ses engagements.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne