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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 octobre [1847], mardi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Toto, bonjour, mon cher petit Toto, bonjour à cœur joie puisque je n’ai que cette ressource de te laisser voir à quel point tu es mon amour. Quand je te vois, ce qui n’arrive pas souvent, tu es si occupé que je n’ai même pas la possibilité de te dire un mot ni de te donner un baiser. C’est un peu chesse. Aussi je grogne parce que je ne suis pas contente. Cela ne m’empêche pas de te rendre justice et de me dire que tu travailles comme un pauvre chien. Ceci une fois reconnu je recommence mes doléances et je bisque de toutes mes forces de ne pouvoir pas échanger un traître mot avec vous ni vous donner du raisin à votre goût. Cependant je fais tout ce que je peux. Il est vrai que la saison ne s’y prête pas et que la quantité cette année ne rachète pas la qualité quelque prix qu’on y mette d’ailleurs. Enfin, mon cher petit bien-aimé, tout en vous adorant je trouve moyen d’être d’une humeur de dogue grâce au régime pénitencier que vous me faites suivre depuis longtemps. Je tâche de m’en dédommager en vous écrivant un tas de noires stupidités mais cela ne me suffit pas. Je suis comme Cosette avec son petit sabre emmailloté [1]. Ce qu’il me faudrait c’est vous en chair et en os. Alors mon bonheur ne connaîtrait pas de borne. Malheureusement il n’y a pas d’homme jaune [2] qui puisse me donner ce que je désire à tous les instants de ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 252-253
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette


26 octobre [1847], mardi après-midi, 8 h. ½

Je n’ai plus votre pratique maintenant que vos gribouillis sont finis. C’est donc bien aimable ça de ne venir chez le MONDE que pour leur faire d’affreux gâchis et jamais pour leur auguste personne. Soyez tranquille quand je rattraperaia mon cœur de vos griffes je ne le donnerai pas à d’autres sans avoir pris mes précautions.
Voilà un temps qui doit abréger joliment la convalescence de ta femme [3] ? Il fait un soleil et un ciel de mois de mai. Il me semble que si elle pouvait sortir un peu en voiture le long des boulevardsb au midi que cela lui ferait grand bien. Après cela on n’attend pas après mon avis pour savoir ce qui convient le mieux à cette chère santé et ce que j’en dis est tout à fait hors d’œuvre. À propos, Dabat est-il venu ? Je n’ai pas pensé à te le demander. Dans le cas où il n’aurait pas reçu ma lettre tu me le diras et je lui écrirai de nouveau. Si tu peux venir de bonne heure tu seras bien gentil de le faire car je te désire de toutes mes forces. En attendant, je fais vie qui dure avec toutes sortes de choses moins aimables les unes que les autres ce qui redouble mon impatience. Cher petit homme, vous oubliez de plus en plus le chemin de chez moi et moi je me souviens trop du temps où vous ne pouviez pas vous passer de moi ce qui est cause que mes lettres sont si pareilles et si ennuyeusesc.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 254-255
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « rattrapperai ».
b) « boulvarts ».
c) « ennuieuses ».

Notes

[1À Jean Valjean qui lui demande : « Comment t’amuses-tu ? », Cosette répond : « Comme je peux… Je n’ai qu’un petit sabre en plomb, pas plus long que ça. » Puis elle montre son petit doigt (Les Misérables, II, livre 3, chapitre 7). Au chapitre suivant, l’on voit Cosette prendre « dans une boîte derrière elle quelques vieux chiffons et son petit sabre de plomb. » « Pendant qu’Éponine et Azelma emmaillotaient le chat, Cosette de son côté avait emmailloté le sabre. Cela fait, elle l’avait couché sur ses bras, et elle chantait doucement pour l’endormir. »

[2Autre allusion aux Misérables, II, livre 3, chapitre 8, où Jean Valjean venu chercher Cosette chez les Thénardier est successivement désigné comme « l’homme à la redingote jaune », ou encore « l’homme jaune » : « Le Thénardier s’était remis à boire. Sa femme lui dit à l’oreille : / – Qu’est-ce que ça peut être que cet homme jaune ? / – J’ai vu, répondit souverainement Thénardier, des millionnaires qui avaient des redingotes comme cela. » Juliette assure à cette période la copie de Jean Tréjean, premier état des Misérables.

[3Adèle Hugo se remet de la fièvre typhoïde.

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