Guernesey, 2 janvier, [18]68, jeudi matin, 8 h. ½
Bonjour, mon enragé petit piocheur, bonjour et bonne nuit, n’est-ce pas ? Moi aussi bonne nuit et paresse comme toujours. Encore si elle pouvait servir à faire contrepoids à ton activité, ma paresse, mais elle ne sert à rien qu’à me dorlotera, ce qui est scandaleux. J’espère que dès qu’il fera un peu moins froid et les jours plus longs, je reprendrai mon tontonnage [1] matinal. Pour aujourd’hui, je trouve très doux de ronronner dans mon lit en compagnie de ta chère petite lettre [2] qui a dormi sur mon cœur toute la nuit. Voilà donc la plus grosse besogne de jour de l’an finie pour toi, mon pauvre bien-aimé. Il est vrai que c’est un allègement bien illusoire puisque tu remplaces le travail par le travail sans t’arrêter jamais. Seulement, il y a celui qui te fatigue et celui qui te plaît et je crois que tu en es arrivé à ce dernier. Je te fais souvenir de me donner les deux bons que tu m’as promis pour Mme Lacroix [3] et pour Lanvin sans retard car il faut que je les envoie maintenant le plus tôt possible. C’est aujourd’hui que doit avoir lieu la première représentation de Ruy Blas à Bruxelles [4]. Parmi les battements de mains qui accueilleront ton chef-d’œuvre, il y aura les battements d’ailes des pauvres âmes des pêcheurs de Blankenbergeb dont tu soulages les veuves et les orphelins à cette occasion [5]. Sois béni.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 2
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « dorlotter ».
b) « Blakenbergue ».