Guernesey, 2 septembre 1856, mardi, midi ¼
J’ai bien de la peine à me résigner à mon guignon, mon petit homme, quoique et peut-être parce qu’il préside à toutes les actions de ma vie depuis la plus importante jusqu’à la plus insignifiante. Aujourd’hui encore, il n’a pas manqué de montrer le bout de son affreux nez et je sens qu’il ne me lâchera pas de la journée quand bien même j’en devrais crever de rage. Il est probable qu’après avoir manqué l’occasion de rester auprès de toi ce matin, j’aurai l’ennui de t’attendre tout le reste de la journée. Je m’y attends, mais je n’en serai pas moins ennuyée pour cela. Quant à Mme Florence, je crois qu’il y aurait plus d’inconvénient que d’avantage à couper à pic les relations avec elle ou à ne conserver que celles qui peuvent nous rendre service, outre que je sens que cela serait profondément dur et injuste envers cette pauvre femme qui n’a aucun tort vis-à-vis de nous que de n’être pas acceptée de la portion prude, bête, bégueule et hypocritea de la proscription ; mais moi qui n’ai pas le droit, par sentiment encore plus que par position, d’être si raffinée à l’endroit des CONNAISSANCES… utiles, je ne veux pas contrister cette pauvre Française…. pour rire. Je continuerai donc, si tu ne t’y opposes pas absolument, à la recevoir et à lui donner à dîner de temps en temps, même avec toi, à la condition que tu n’abuserasb pas de mon hospitalité scrupuleuse pour faire la cour à cette dame et pour la reconduire en tête à tête le soir. Maintenant, je suis à vos ordres depuis la tête jusqu’aux pieds.
Juliette
Bnf, Mss, NAF 16377, f. 228
Transcription de Mélanie Leclère, assistée de Florence Naugrette
a) « hyppocrite ».
b) « abusera ».