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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 juin 1847

25 juin [1847], vendredi matin, 8 h. ¼

Bonjour, mon petit Toto fatigué, bonjour, mon pauvre petit homme affairé, bonjour, mon adoré petit Toto, je vous plains, je vous ennuie et je vous adore. Aussi vous me forcez à vous écrire sur du papier spongieux, baveux, galeux, vaseux et limoneux, ce qui donne à mon style quelque chose de brumeux, de pluvieux, d’aqueuxa, de visqueux et de piteux qui m’humilie singulièrement. Je vous le pardonnerais encore si vous me donniez de temps en temps une petite culotte de rabiboche, mais vous ne me donnez que des séances auxquelles je ne vais pas, comme celle d’aujourd’hui par exemple. Je trouve que ces précieuses compensations sont autant de mystifications et qu’il serait bon de changer de GUERDON [1], parce que c’est trop GUERRE don que vous ne me donnez pas. Je voudrais vous dégoûter de cette mesquine façon d’agir par les stupides indignations qu’elle m’inspire et que je vous forcerai de lire tous les jours. J’en barbouillerai mon papier, je le pouacrerai [2], je l’engluerai, je l’imbiberai de tant d’inepties à ce sujet que vous serez forcé de changer votre manière envers moi, si vous ne voulez pas y poisser vos ailes de colibri et devenir en très peu de temps aussi bête que votre très humble Juju.

BnF, Mss, NAF 16365, f. 142-143
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « acqueux ».


25 juin [1847], vendredi après-midi, 1 h. ¾

Je vois bien, mon pauvre adoré, que tu es allé à la Chambre directement et je n’espère pas te voir avant ce soir ; et encore cet espoir est-il fort ébranlé par la crainte que l’heure à laquelle finira la séance ne se trouve être l’heure de ton dîner et que le mauvais temps ne t’oblige à prendre l’omnibus jusqu’à ta porte. Toutes ces suppositions sont loin de m’être agréables et j’ai par-dessus le marché le regret de savoir tes pauvres beaux yeux sans leur eau pour les rafraîchira et les baigner [3]. Tout cela me rend aussi triste et aussi maussade que le temps. Je voudrais être à ce soir et même à minuit si je ne dois pas te voir avant ce temps-là. La vie pour moi n’est que dans le bonheur de te voir, tout le reste c’est du stupide remplissage qui ne sert qu’à rendre les journées plus longues et plus mortellement ennuyeusesb. Je ne sais pas pourquoi le bon Dieu ne m’a pas laissé la latitude de fondre toutes ces minutes, toutes ces journées, tous ces mois, toutes ces années d’oisiveté de cœur en quelques années, plus ou moins selon le temps qu’on a à vivre, de bonheur et d’amour. Ce serait tout profit pour tout le monde et le genre humain n’en irait pas plus mal à ce qu’il me semble. En attendant je bisque, je rage et je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 144-145
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « raffraîchir ».
b) « ennuieuses ».

Notes

[1Vieilli : récompense. La graphie encore plus ancienne était guerredon.

[2Néologisme à partir de l’adjectif « pouacre » : sale, vilain.

[3Juliette Drouet évoque dans de nombreuses lettres les problèmes ophtalmiques de Victor Hugo.

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