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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 février [1839], samedi après-midi, 4 h. ¼

Bonjour mon cher adoré, bonjour mon petit homme chéri, comment vas-tu mon bijou ? Moi je ne vais pas et je ne comprends [pas] comment j’ai pu me lever et me tenir sur les jambes. Enfin, j’y suis et il faut bien aller ou dire pourquoi, surtout quand on a une nouvelle bonne chez soi qui n’est pas habituée au service et qui n’ose pas se bouger. Au reste, il m’en est venue une tantôt de la part de l’épicier mais qui était aussi délurée que celle-ci l’est peu et je donne la préférence à la niaise sur la rouée. Voilà mon opinion. J’ai vu Lanvin qui ne savait pas Claire à la maison et qui l’a reconduite à la pension. Par la même occasion, il venait savoir la réponse pour cette fameuse bonne que sa femme m’avait envoyée il y a [4  ?] jours. J’ai été forcée de me lever une fois ma fille partie parce que je ne pouvais pas laisser cette fille inconnue les bras croisés dans la cuisine, mais je souffre cruellement et si certaine débâcle ne nous soulage pas je serais forcée d’appeler le médecin.
Je m’interromps à chaque instant pour diriger mon esclave dans les travaux. Je fais des vœuxa bien ardentsb pour qu’elle fasse mon affaire car je ne connais rien de plus odieux quand on est absolument seule dans son intérieur de changer de bonne tous les jours. Je m’aperçois, mon adoré, que je ne fais que te parler ménage, servante et ennui tandis que j’ai le cœur gonflé de tout l’amour que je ne vous ai pas donné depuis deux jours, faute de force et de temps, c’est que je vous aime beaucoup plus que mes forces. Je t’aime de toute mon âme. Je ne peux pas te dire comment je t’aime parce qu’il n’y a rien dans les mots dont je me sers qui en approche. Je t’adore, ce n’est rien en comparaison de ce que je sens. J’espère, mon cher petit homme, que tu es tout à fait guéri à présent et que, si tu ne viens pas, c’est que tu es occupé ? J’ai besoin de te savoir bien portant pour supporter ton absence. Quand tu es souffrantc, je suis au suppliced car je suppose toujours que c’est que tu es plus malade et je deviens folle. Je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 135-136
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette


a) « veux ».
b) « ardens ».
c) « soufrant ».
d) « suplice ».


9 février [1839], samedi soir, 7 h. ½

Vous voyez, mon Toto, qu’on peut me faire crédit et que je suis femme à payer mes dettes exactement. C’est qu’en fait d’amour je suis en fondsa et plus riche que tous les millionnaires de la terre. Je n’aime pas que les femmes vous fassent la cour, mon Toto, peut-être comprendrez-vous ma répugnance à ce sujet, si vous me voyez courtisée par des hommes prétendus beaux garçons et beaux-esprits. Vous êtes venu dans l’intervalle de ma description et le bonheur que j’ai eu à vous voir m’a fait perdre le fil de mon discours. Mais enfin, ce que je veux vous dire, c’est que vous ne vous laissez pas prendre comme un rat à ce morceau de lard ranci qu’on appelle la flatterie. Je ne sais pas si vous m’apporterez la fameuse poupée ce soir mais je sais que j’aurais bien de la joie de vous revoir avant l’heure mystérieuse et LUGUBRE de MINUIT ET 1 H. du matin. Vous savez, mon cher adoré, qu’il vous est défendu d’aller à aucun théâtre ce soir ? Je vous ai trouvé une ardeur inusitée pour le spectacle ce soir et je crains d’en deviner la véritable cause. Je vous conseille donc si vous tenez à votre tranquillité et à la mienne de ne pas mettre les pieds dans aucun théâtre même dans ceux de la banlieueb. Je souffre tant, ce soir, mon adoré, que j’ai interrompuc ma lettre pendant 20 minutes pour me tordre dans ma chaise comme un ver empoisonné. Je souffre, je souffre. Si ce que j’attends ne vient pas bientôt me soulager, je ne sais pas ce que je deviendrai. Papa est bien i, surtout s’il m’apporte la grande poupée ce soir à cheval sur son dragon ainsid que le représente l’image. Rien que ça vaut l’argent et votre amour. Vous êtes un rustre si vous ne le sentez pas. Je vous aime tant que je trouve le moyen de rire et de faire des chefs-d’œuvree dans les plus grandes souffrances. Vous n’en feriez certainement pas autant, vous. Il est vrai que vous ne m’aimez pas et que vous êtes un dessinateur médiocre et un grand DOUILLET. Moi je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 137-138
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette


a) « fond ».
b) « ban-lieue ».
c) « interrompue ».
d) Dessin de la poupée à cheval sur le dragon :

© Bibliothèque Nationale de France


e) « chef-d’œuvres ».


9 février [1839], samedi soir, 8 h. ½

Tenez, vilain [illis.], voilà la dernière de vos lettres. Je ne vous en dois plusa maintenant d’ici à demain du moins. Mais si vous m’en croyez, vous ne lirez pas tous ces gribouillis ce soir à moins que vous ne teniez à crever vos beaux yeux ce soir avec les hideuses [illis.] de génie [illis.] que je vous jette aux yeux à la place de poudre et d’esprit. Si vous m’en croyez, vous laisserez tous ces morceaux de papiers noircis dans des coins. D’ailleurs j’aimerais mieux, à votre place, un baiser qu’une lettre, des caresses que des mots et de l’amour que du style et si vous aimez mieux tout cela, vous n’avez qu’à vous baisser et en prendre au lieu de vous hausser sur la pointe de vos petits pieds pour lire à la flamme d’une bougie, pas de l’étoile, des mots difformes tous bossus et tous contournés d’amour, [illis.] de fautes d’orthographe, voilà ce que vous pourriez épargner à vos pauvres yeux et donner à notre bon petit cœur si vous aviez autant d’amour que de génie. Je vous aime, je vous le dis en quatre mots comme en mille millions, je vous aime. C’est ma profession de foi, mon pater, ma devise et mon ULTIMATUM pour parler latin comme un Turc. Baisez-moi, aimez-moi et venez très tôt si c’est possible. En attendant, je vous attends.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 139-140
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette


a) « plus plus ».

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