Paris, 5 février [18]72, lundi matin, 9 h.
Tout cœur dehors, mon cher bien-aimé, je t’envoie mon plus tendre bonjour. Comment as-tu passé la nuit ? bien, je l’espère. J’espère aussi que tu ne t’es pas enrhumé en traversant la rue pendant que tu étais encore en sueur. J’attends que Suzanne me rassure à ce sujet car je suis un peu tourmentée. Ce serait une bien triste récompense de ton ineffable bonté et je m’en voudrais de t’avoir laissé partir avant d’être bien sûre qu’il n’y avait aucun danger pour toi à le faire. Enfin, j’espère que Suzanne m’apportera de bonnes nouvelles de toi et de tes chers petits enfants. Grâce à toi, mon grand bien-aimé, la soirée un peu morose, pour différentes causes en dehors de nous, s’est achevée dans l’enthousiasme général pour Paris incendié [1]. Quel enchanteur tu es, mon cher bien-aimé, de rendre accessible à tous les esprits, même au plus petit comme le mien, ta poésie formidablement sublime et démesurée. Le souffle de ton puissant génie nous emporte sur toutes les cimes inexplorées avant toi. On est confondu de ces hauteurs vertigineuses, on est ébloui et ravi jusqu’à l’extase, on t’adore.
BnF, Mss NAF 16393, f. 32
Transcription de Guy Rosa