Paris, 31 mars [18]77, samedi soir, 1 h. ¾
J’ai le cœur sur les lèvres, qui ne demande qu’à se poser sur les tiennes, mon cher bien-aimé, mais j’ai en même temps l’estomac sur les talons et qui crie la faim de toutes les forces qui lui restent encore.
2 h. ½
J’ai eu le temps, depuis cette complainte d’amour et de fringale mêlées, de donner satisfaction à tous mes appétits à la fois depuis le baiser jusqu’à la côtelette ! Maintenant, mon grand bien-aimé, je me livre à toutes les friandises de joie et de bonheur que tu m’as données pendant ce charmant petit déjeuner en toute hâte.
4 h. ½
Il m’arrive bien rarement maintenant de gribouiller ma pauvre petite restitus tout d’une traite tant les vétilles de la vie se mettent à la traverse toutes les minutes et presque à chaque syllabe. Tout à l’heure, au moment où tu me quittais, je suis tombée sur madame, mademoiselle ou monsieur Émile Lérida qui venait te demander la réponse à l’acte en vers qu’elle t’a apporté il y a un mois. Mais devinant que tu étais pressé et qu’il ne te convenait pas, probablement, de la recevoir en ma présence, elle a dit qu’elle reviendrait un autre jour, puis elle est repartie très rapidement dans l’espoir peut-être de te rattraper dans la rue. Je lui souhaite mauvaise chance, dût-elle tourner contre moi, mais tel est mon égoïsme.
BnF, Mss, NAF 16398, f. 91
Transcription de Guy Rosa