Paris, 16 janvier [18]77, mardi matin, 10 h. ½
Un biau temps agné. Allaie vous de charme à matin ? C’est ce que je voudrais savoir pour régler la joie de ma journée. Quant à moi, je vous aime. Voilà l’occupation de ma vie et le tréfonds de mon âme.
Je ne sais pas encore comment Petite Jeanne a passé la nuit, mais je viens de lire un premier on dit : « M. Édouard Lockroy, député des Bouches-du-Rhône, épouse Mme Charles Hugo. » Bien que prévenue de la nouvelle depuis deux jours, je n’en ai pas moins éprouvé une certaine émotion en la voyant imprimée [1].
Il s’est écoulé plus d’une heure depuis le dernier mot de cette dernière phrase, aussi je ne sais plus où j’en ai. Je sais que je t’aime, que tu es adorablement bon pour moi et que Petite Jeanne vient de partir assez gaiement chez l’oculiste. Je sais aussi que nous déjeunerons ensemble, ce qui est une compensation plus que suffisante à l’étroitesse de ma chambre improvisée salle à manger de par la nécessité de ton travail. Heureusement que ces dames ont décidé de déjeuner là-haut aujourd’hui. Pendant que j’y pense, mon grand affairé, je te fais souvenir que tu as une traite Rousselle à payer le 22 de ce mois pour du vin et montant à 503 F. 50. J’espère que Louis [2] apportera l’argent de Hachette tantôt. En attendant, nous sommes à sec d’argent mais non de cœur car le mien est tout plein de toi.
BnF, Mss, NAF 16398, f. 17
Transcription de Guy Rosa