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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 29 octobre 1854, dimanche après midi, 2 h.

Je suis honteuse, mon cher adoré, de me sentir si au dessous de toi dans l’échelle des êtres [1] antérieurs, présents et futurs. Cependant je suis bien sûre que tu n’as jamais été aimé et ne le serasa jamais par qui ou par quoi que ce soit comme je t’aime dans cette vie. Mon amour est le télescope par lequel je vois Dieu à travers toi. Tu es l’âme de mon âme. Je fuirais le paradis où tu ne serais pas et je bénirais l’enfer qui nous réunirait pour l’éternité. Mon culte est en toi. Je prie par toi et pour toi. Tu es ma foi et mon espérance, ma nuit et mon jour, le commencement et la fin de tout ; tu es ce que je regrette et ce que je désire dans mon passé et dans mon avenir. Hors de toi je ne comprends plus rien, je ne sens rien, je ne suis rien. Voilà mon orthodoxie dans toute sa simplicité. Elle ne m’empêche pas néanmoins de vous attendre comme un simple mortel et de grogner quand vous tardez trop longtemps à venir. Dans ce moment-ci même je trouve qu’il serait bon et heureux de nous promener un peu au soleil parmi les monstres fleurs et les jolies femmes crapaudes. Mais vous n’êtes jamais bien pressé de me revoir ; aussi je ne compte pas sur vous avant la nuit close. Pour me faire prendre patience je vais me plonger à corps perdu dans votre Deutéronome ou plutôt dans votre nouvelle Genèse. Cher adoré, il ne vous sera pas difficile de convertir tous les esprits à votre lumineuse poésie il n’y aura d’hérétiques que parmi les envieux et les crétins. Chacun de vos vers est un miracle de génie et de sublimité qui confond nos pauvres petites intelligences. Quant à moi je ne les contemple qu’à genoux et avec adoration.
Mon Victor adoré, je ne sais pas t’exprimer ma pensée comme je le voudrais mais je t’aime dans le plus pur idiome du cœur et de l’âme. Je voudrais être la pierre que tu plains en la heurtant du pied, la fleur que tu caresses en la baisant du regard, l’ange que tu [illis.] au ciel.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 361-362
Transcription de Chantal Brière
[Souchon]

a) « sera ».

Notes

[1L’échelle des êtres est évoquée notamment dans « Ce que dit la bouche d’ombre » (Les Contemplations, VI, XXVI), poème rédigé dans la première quinzaine du mois d’octobre 1854.

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