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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 août 1846

10 août [1846], lundi matin 8 h. ¼

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour, toi que j’aime, bonjour, vous que j’adore, bonjour. Comment vas-tu ? Qu’est-ce que tu fais aujourd’hui ? Pourrais-je aller te chercher quelque part ? Ou viendras-tu travailler auprès de moi ? L’un m’est aussi doux que l’autre. Pourvu que je sois avec toi, c’est tout ce qu’il me faut. Ce matin je suis triste parce que je sens que tu abuses de l’engourdissement inévitable que j’éprouve vers la fin de la soirée. Loin de chercher à le dissiper tu en profites pour t’en aller tout de suite, ce qui est le comble de la perfidie et de la scélératesse. Mais je vous attraperaia bien. Dorénavant, je ne me coucherai pas et j’avalerai des flots de café noir, ce qui fera que je serai éveillée comme une portée de souris, et vous ne pourrez plus vous en aller de boune eu [1], à moins d’avouer cyniquement que vous êtes le plus affreux des gueulards. Pour le moment, cela ne me rend pas ce que j’ai perdu. Aussi je suis triste dans le fond de mon pauvre cœur et je m’en veux de toutes mes forces de ne savoir pas mieux résister au sommeil. J’y mettrai bon ordre pas plus tard que ce soir. D’ici-là, venez bien vite et emmenez-moi avec vous ou restez avec moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 21-22
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « attrapperai ».


10 août [1846], lundi après-midi, 5 h. ½

Tu viens de réveiller en moi tout à l’heure le plus cher et le plus ardent de mes désirs, mon adoré. Je donnerais tout au monde pour faire tout de suite cette petite excursion avec toi [2]. Il me semble que ce n’est pas impossible sans inquiéter pour cela la bonne petite Dédé. Il suffirait de lui dire que tu es à quelques lieues de Paris pour deux ou trois jours seulement. Cela ne la tourmenterait pas et cela me donnerait du bonheur et du courage pour le reste de cette terrible et douloureuse année. Penses-y, mon adoré, et tâche de mettre à exécution ce doux et ravissant projet. Quant à moi, je serai prête le jour, la nuit, l’heure où tu voudras venir me prendre. Mon Dieu, mon Dieu, vous savez si j’ai besoin de ces quelques heures d’amour et de bonheur pour supporter l’affreux malheur dont vous m’avez frappée [3]. Faites que mon Victor adoré puisse me les donner. Je viens d’entendre de bien doux et de bien charmants vers de vous, mon bien-aimé, mais le son de votre voix était encore plus doux et votre regard plus charmant et plus pénétrant encore que tous les divins vers que vous m’avez lus. Mon cœur n’avait pas trop de mes oreilles, de mes yeux et de mes lèvres pour vous adorer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 23-24
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Imitation d’un accent patoisant ou étranger pour “bonne heure”.

[2Ils feront un voyage en Normandie du 25 au 28 septembre.

[3La mort de sa fille Claire, le 21 juin 1846.

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