Jersey, 31 mai 1854, mercredi après-midi, 4 h.
Eh ! bien, mon pauvre purgé, où en sont les borborygmesa, les gargouillades et autres cacades ? Avez-vous fini par en venir à bout ce matin ? Et votre bouillon aux herbes s’est-il bien comporté ? J’attends des nouvelles de tout cela avec grande impatience ; est-ce que vous n’allez pas bientôt venir ? Il me semble pourtant que, de toutes façons, vous pouvez vous risquer par ce beau temps plus doux qu’un mouton. Quant à moi je suis sous les armes avec mon gargarisme armé de toute pièce. Je n’attends plus que vous pour commencer à vivre. Dieu sait que j’ai le temps d’attendre car vous ne me paraissez pas très pressé de venir. J’ai vu tantôt le citoyen Guay auquel j’ai commandé vos souliers et les miens. Il m’a paru beaucoup regretterb de n’avoir pas su à temps la réunion de lundi soir pour y assister. Il ne m’a pas fait autrement de confidence et je me suis bien donné de garde d’avoir l’air de rien savoir de sa détresse imméritée. Il m’a bien priée de te dire tous ses respects ce dont je m’acquitte avec joie car j’aime à te voir vénéré et admiré par tous les cœurs honnêtes et intelligents. Pour ce qui est de t’aimer, j’y suffisc de reste pour les générations passées, présentes et futures. Ce qui ne m’empêche pas de m’épuiser en vains efforts pour nouer les deux bouts de votre amour avec le mien mais vous vous en fichez comme de la bourrique à Robespierre [1]. Ce que voyant, je me trouve bien bête de n’en pas prendre mon parti en dehors du socialisme, du communisme et autre crétinisme à l’usage des républicains, des mouchards et des pochards.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 209-210
Transcription de Chantal Brière
a) « borborymes ».
b) « regretté ».
c) « suffit ».