11 avril 1880

Paris, 11 avril 1880, dimanche soir, 5 h. ½

Cher bien-aimé, je te remercie de l’accueil tendre et tout aimable que tu fais aujourd’hui à mes soixante-quatorze hivers. [1] En même temps que ce m’est^a un encouragement à en ajouter encore quelques autres, ce m’est aussi un honneur et un bonheur de t’en reporter toute ma reconnaissance. Sois béni par Dieu comme tu l’es par moi, dans l’avenir heureux et glorieux de tes chers petits-enfants. J’espère que le hasard qui a permis qu’on fît ta photographie et la leur dans ta maison aujourd’hui même [2] aura eu une heureuse influence sur la reproduction de vos chères images vénérées, adorées et charmantes ; et j’espère, aussi, que tu voudras bien m’en donner une épreuve pour ajouter à la collection précieuse que j’ai déjà. Je te remercie à nouveau du don que tu m’as fait à l’occasion de mon anniversaire. Libéralité dont^b me suis permis^c de faire profiter nos trois femmes de service : Rosalie, Virginie, et Célanie par une belle pièce de cinq francs à chacune. Tu vois que je suis ton bon exemple et que je tâche de me faire pardonner mon oubli de mourir par un peu de bonté. À propos de bonté, j’ai fait tout mon possible ce matin pour ne pas contrister ce pauvre Lesclide en lui parlant de ces déplorables affaires d’argent. Et je crois que j’y suis parvenue. Il est vrai qu’il ne m’en a pas paru très inquiet, ce qui est une grâce d’état qui me manquerait tout à fait, je crois, en pareille circonstance. Il est vrai, encore, que la bienveillance parfaite que tu lui conserves doit suffire et lui suffit, certainement, à lui faire porter courageusement les mille déceptions de la fortune. Puisse-t-il en voir la fin bientôt. Je le lui souhaite de tout mon cœur. Je suis si comblée et si heureuse par toi aujourd’hui que je voudrais que tout le fût avec moi qui te souris, qui te bénis, et qui t’adore.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16401, f. 100-101
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin

a) « ce met ».
b) « que ».
c) « permise ».