Paris, 28 janvier 1880, mardi soir 2 h ½
J’espère, mon cher bien-aimé, que c’est pour la dernière fois aujourd’hui que tu dors dans la journée. Demain, nous réintégrerons des habitudes plus normales et plus hygiéniques pour ta santé, en reprenant nos promenades chaque fois qu’il n’y aura pas de Sénat. En attendant, profite encore aujourd’hui du repos prolongé dont tu t’indulges au grand ennui de tes excellents docteurs [1]. Moi, pendant ce temps-là, je tâche à faire aller ma pendule qui s’obstine à ne pas vouloir marcher [2]. Et puis, je te fais souvenir que tu continues à ne me donner aucun argent, ce qui n’empêche pas la dépense quotidienne d’aller son train. Ce matin encore, j’ai payé de la bougie 18 F. 90,
et de l’eau de Walls…a 18 F. 75.
en dehors de la dépense de la cuisine,
avant-hier montant à 67 F. 65,
et celle d’hier à …a 65 F. 10,
total à rembourser ...a 169 F. 80,
ainsi que tu pourras le vérifier sur le livre même de Rosalie. Quant à l’emploi des cinq cents francs, je t’en ai donné le détail que tu pourras vérifier également. Ça n’est pas très amusant pour toi, ni pour moi, que ces quémanderies d’argent, et je ne m’y résigne que par obéissance à ta volonté.
Autre embêtement : Charamaule qui craint le froid, encore plus qu’il ne désire savoir de tes nouvelles, me prie de lui écrire où en est ta santé. J’avoue que cette corvée me coûte extrêmement, et je n’ai pas encore pu m’y décider. Quant à nos princes de Lusignan [3], ils envoient ou ils viennent tous les jours savoir comment tu vas. Il est vrai que leur sollicitude est quelque peu intéressée mais il ne faut pas y regarder de trop près et puis, je t’aime, je t’aime, et je t’aime.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 28
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin
a) les points de suspension courent jusqu’au bout de la ligne.