24 avril [1847], samedi soir, 9 h. ¼
Que je vous y prenne encore, vilain monstre, à me faire faire de la RÉDACTION. Dorénavant je tournerai ma langue 15 fois avant de dire un mot et je fermerai les yeux pour ne rien voir afin de n’être pas EXPLOITÉE par vous. Quand je pense que voilà une heure et plus que je griffouille je ne sais quoi, je suis enragée. Décidément je sais moins écrire que jamais. Je suis capable de devenir muette pour ne plus être exposée à ce hideux supplicea d’écrire ce que j’ai dit. Merci, ça n’est pas assez drôle, j’aime mieux le Syrien [1]. J’aime mieux Monte-Fiasco [2], Bruno [3] et autre Biche au bois [4] que ce hideux métier d’écrivaine publique. Dans ce moment-ci je suis rouge comme un coq et j’en ai la fureur. Quelleb horreur ! Encore si ça m’était payé, mais écrire à l’ŒIL, merci c’est trop bon, merci. J’aimerais mieux aller à VIOQUE à la LORCEFÉ et être NIQUE de mèche avec tous les AMIS. Au moins il y aurait plus de profit et je pourrais rouler sur du [CARL ?] et POISSER DES PHILIPPESc à mort. J’aime mieux tout que d’être votre PITRE. Une fois pour toute, je ne veux pas être votre LARGUE à ce prix-là [5].
Vrai je suis exaspérée. Ce soir surtout, je ne sais pas à quoi cela tient mais je suis encrophobe, pour un rien je jetterais toute la mécanique dans le feu afin de ne plus entendre ce petit bruit agaçant de la plume sur le papier. Quand je pense que les quelques minutes que tu me donnes sont employées à cet exercice, je suis capable de te souhaiter un goitre, un cerveau de crétin, une imagination d’huître. Tu vois bien, mon Toto, que je suis exaspérée et qu’il serait dangereux de m’approcher dans ce moment avec une rame de Weinen [6], une bouteille de petitesd vertes, des plumes d’… académiciens et de la poudre, fût-elle faite avec la plus ravissante des SCIESe. Baisez-moi, scélérat, et ne vous frottez plus sinon il vous en COÛTERA cher.
Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/21
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen
a) « suplice ».
b) « Quel ».
c) « PHILIPPE ».
d) « petite ».
e) « SCIE ».