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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 août [1849], mardi matin, 7 h. ½

Bonjour, toi, bonjour, vous, bonjour. Dans ce mot si banal et si insignifiant il y a tout ce que l’amour le plus tendre et le plus ardent contient de baisers, de sourires et d’adoration. Bonjour, encore une fois dormez et tâchez de m’aimer en rêve autant que je vous aime les yeux ouverts. Tu n’es pas revenu hier au soir, mon bon petit homme, mais cela ne m’a pas surprise parce que tu avais une excellente raison pour ne pas sortir de chez toi aujourd’hui. Il est probable qu’on prendra le convoi de la matinée pour arriver à la fin du jour à Villequier [1] ? Dans ce cas-là tu serais libre de bonne heure car je sais que Charlot sera occupé à faire faire son médaillon par Vilain et son croquis par un de ses amis. Tout ceci, en supposant même qu’il dîne avec toi, lui prendra la journée entière. Je te demande la préférence si tu dois rester seul chez toi. Je ne t’empêcherai pas de travailler, au contraire, je te baiserai et je te regarderai si bas que tu ne t’en apercevras pas. Dans l’espérance que tu viendras de bonne heure, je vais me hâter de faire faire MON MÉNAGE et de m’habiller. Je veux n’avoir plus qu’à t’adorer quand tu viendras tantôt. Ce n’est pas à Mme Luthereau que j’ai remis ton cher petit dessin hier au soir, c’est à ses deux fils. Elle avait été trop occupée et avait encore trop de choses à terminer dans la soirée pour pouvoir venir le chercher elle-même et me dire adieu. Du reste, ces deux braves jeunes gens paraissaient dans l’admiration de votre petit dessin. Je le crois fichtre bien et moi aussi j’étais dans l’admiration et maintenant je suis dans la désolation de la mystification. Merci, c’est toujours moi qui paie vos générosités. J’aime mieux que vous n’ayez pas de prodigalités à mes dépens et que vous ne soyez pas si facile à donner ce qui m’appartient. Une autre fois je ne m’y prêterai pas, je vous en préviens.

Juliette

MVHP, Ms a8263
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux


14 août [1849], mardi matin, 11 h.

Je me figure qu’on partira de bonne heure pour Villequier et j’ai la faiblesse d’espérer que tu voudras bien me donner le reste de la journée. Dans cette confiance, je me dépêche de tout apprêter chez moi pour t’installer et pour que tu ne sois pas dérangé dans le cas où tu voudrais travailler. Si cette espérance n’a aucun fondement, ce n’est pas ma faute car il est impossible d’y mettre plus de confiance et plus de bonheur, par anticipation, que je n’en mets dans ce moment-ci. Il est vrai que pour m’y aider, je repasse la bonne promesse que tu m’as faite hier de me donner au moins un jour ou deux d’excursion. Malheureusement, il n’y a pas à compter sur le projet d’Étretat puisque le Vilain est tout à fait à sec. Tout cela n’est pas fait pour mettre à flot la barque qui devait nous conduire tous dans quelque bon petit port de plaisir et de bonheur. Il faudra donc se contenter de quelques heures de doux loisir au lieu de quelques jours et s’en trouver très heureux. Quant à moi, j’y ferai tout mon possible et je suis très résolue à mettre à profit toutes les parcelles de bonheur dont le bon Dieu voudra bien parsemera ma vie. Aussi, je prétends être autant heureuse en quarante-huit heures qu’en quarante-huit jours. Je mettrai les morceaux tellement les uns sur les autres qu’il faudra bien que tout y tienne. Peut-être serait-il prudent de les prendre tout de suite, ces quarante-huit heures, car on ne sait pas ce qui peut arriver en temps de république, et pour mon goût j’aimerais mieux tenir mes bons quarante-huit heures de bonheur que quarante-huit jours dans le brouillard et dans l’avenir de cette bonne république que le diable emporte. À ta place, je sais que je n’hésiterais pas. Maintenant, mon adoré bien-aimé, je t’attends de toutes mes forces.

Juliette

MVHP, Ms a8264
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

a) « parsemé ».

Notes

[1Mme Hugo se rend à Villequier.

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