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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 juin 1849

18 juin [1849], lundi matin, 7 h.

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon cher amour, bonjour comment vas-tu ? Je suis triste, triste, triste. Je n’ai pas besoin de t’en dire la raison, tu dois la deviner. Je ne te demande pas pourquoi tu n’es pas venu hier, je m’en doute mais cela ne me console pas, parce [que] je ne vois pas de raison pour que cela soit jamais autrement désormais. Et puis, mon bien-aimé, je voudrais ne pas t’ennuyer de mes rabâchages et te poursuivre de mes tendresses inopportunes. L’obsession n’est pas un aimant, sans calemboura aucun, et toutes mes plaintes ne feront pas qu’il n’y ait seize ans de trop entre ton cœur et le mien. Je le sais et je voudrais avoir la raison et le courage de m’y résigner. Pour comble d’ennui, j’aurai aujourd’hui le tapissier [1], probablement, ce qui m’empêchera de t’accompagner à l’Assemblée en supposant que tu puisses venir me chercher. Toutes ces choses accumulées les unes sur les autres contribuent à me rendre la vie insipide et me portent à une sorte d’hypocondrie dont je ne suis pas la maîtresse. Pourtant je t’aime, mon Toto, avec une ardeur et un enthousiasme qui ne se ralentissent pas, au contraire, et je préfère tous les maux qui me viennent de cet excès d’amour à toutes les joies qui pourraient résulter de ne plus t’aimer. Je t’aime c’est-à-dire je vis. Ne plus t’aimer ce serait la mort. Aussi, mon Victor adoré, je te prie de ne pas tenir compte des plaintes qui m’échappent trop souvent et de me laisser t’aimer immodérémentb, à ma manière, et pour commencer je t’adore à deux genoux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 177-178.
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « calembourg ».
b) « immodérémment ».


18 juin [1849], lundi soir, 9 h.

Je suis harassée de fatigue, mon bien aimé, et pour me défatiguer je t’écris. Je t’ai vu, mon adoré, je suis heureuse, je ne sens plus que le bonheur de t’avoir embrassé. Je n’ai plus de courbature, plus de tristes préoccupations. Je t’ai vu, tout est oublié. Cependant, je n’ai pas osé prendre l’engagement d’être prête demain matin à neuf heures, dans la crainte de ne pouvoir pas tenir ma promesse et de me causer à moi-même une trop douloureuse déception, et puis il faut que je raccourcisse mes rideaux et que je remette toute ma vaisselle en place car il a fallu la déménager entièrement ce matin de son burgos [2] pour enlever le tapis qui était dessous. À l’heure qu’il est elle encombre la salle à manger. Donc par raison et par nécessité, il faut que je reste chez moi encore demain toute la journée, hélas ! Mais que je serais bien dédommagée si tu pouvais réaliser dimanche cettea ébauche de projet que nous avons essayé de faire ce soir. Seulement je n’ose pas compter pour n’avoir pas le chagrin de la déception. Mais aussi quel bonheur si, par impossible, tu parvenais à mettre les deux bouts de ce beau projet ensemble. En attendant, je t’aime comme dix cent mille.

Juju

MVHP, MS a8222
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « cet ».

Notes

[1Jourdain.

[2Burgos : meuble où Juliette range ses plats.

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