21 décembre [1845], dimanche matin, 10 h. ¼
Bonjour, mon Toto chéri, bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon amour, je vous envoie mon cœur dans ma pensée avec des millions de baisers. Mettez-les dans un petit endroit où ils ne puissent pas avoir froid tous tant qu’ils sont et venez bien vite me voir.
Cher petit homme chéri, tu as été bien bon hier pour ma péronnelle et je t’en remercie de tout mon cœur. Rien ne peut lui être plus profitable que les aperçus que tu lui donnesa sur toutes les questions de grammaire et de français. Elle en apprend plus en cinq minutes avec toi qu’en cinq mois avec les cuistresses patentées qui l’enseignent. Seulement ce doit être fort ennuyeux pour toi et ta bonté seule peut t’inspirer la patience de le faire quand l’occasion se présente. Je le sens mieux que je ne peux l’exprimer, et mon amour pour toi s’en augmenterait encore si quelque chose pouvait l’augmenter. Mais cela n’est pas possible, car je t’ai tout donné dès les premiers jours où je t’ai vu. Je t’ai aimé de toutes les puissances de mon âme et depuis ce premier moment-là, mon amour n’a pas faibli d’une seconde. Je t’aime toujours à l’adoration et je voudrais mourir pour toi. Tu es mon Victor si beau, si bon, si doux, si noble, si grand et si charmant que je t’adore à deux genoux.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16361, f. 281-282
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « tu lui donne ».
21 décembre [1845], dimanche soir, 10 h.
Je ne t’ai pas vu, mon Victor, ça n’est pas juste. Vous m’avez mise à la porte de chez moi. Vous me rendez très malheureuse, vous êtes un monstre monseigneur. Pour comble d’atrocité, il est probable que vous irez voir Hernani [1] ce soir à moins que vous n’aimiez mieux faire la cour à Mme [L. L. ?] ou autre bonne fée. Pendant ce temps-là, moi j’héberge des péronnelles et je bisque de toutes mes forces. Enfin les voilà parties et j’en serais bien aise si cela devait vous ramener incontinent. Mais comme vous n’en viendrez absolument qu’à votre aise, c’est-à-dire le plus tard possible, je continue de rebisquer et de rerager que de plus belle.
Mon petit Toto, je sens que la bisquerie pourrait bien dégénérer en grognasserie. Aussi je m’arrête sur le bord de l’abîme. Je vous souris, je vous porte, pas sur les épaules, je ne crie pas quand il m’a morduea, je vous donne mon grand couteau et je vous supplie à deux genoux de me débarrasser de ma guipure. Je me traîne à vos pieds pour que vous daigniez accepter Coromandel [2], enfin je liche la sacrée poussière de vos augustes bottes pour fléchir vos derniers scrupules, pour faire taire vos délicatesses exagérées, pour assoupir à force de platitudes et de salamalecs les remords d’une conscience trop timorée. Ah ! laissez-vous attendrir. Oh ! ne soyez point farouche à ce point. Eh ! que pouvez-vous perdre à ce marché ? Hi ! hi ! voyez mes larmes. Hum ! je me fâcherai à la fin. Hein ? qu’est-ce que vous dites ? Han ! c’est du beau et du propre. Vilain, taisez-vous, fermez les yeux et ouvrez la bouche. Hop ! ça y est. Baisez-moi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16361, f. 283-284
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « il m’a mordu ».