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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 août [1842], mardi après midi, 2 h. ¾

Vous voilà parti, mon ravissant petit Chinois et Dieu sait quand vous reviendrez ? Cependant c’est bien bon et bien I de vous voir en Bédouin, en Chinois et en académicien dans toutes ses transformations ? Je ne sais à laquelle donner la préférence parce que vous êtes également bien dans toutes et que je vous aime de toute mon âme n’importe comment. J’aurais voulu faire la fête complètea aujourd’hui. C’est pour ça que je t’avais prié de me faire sortir mais tu ne l’as pas pu et je comprends pourquoi, mon pauvre ange, puisque tu es forcé de rentrer chez toi et peut être d’attendre M. Louis ? Je me résigne mon cher adoré et d’ailleurs je n’ai pas le droit de me plaindre, mon RAMAZAN, pour avoir été court, n’en [a] pas été moins bon et moins ravissant. Vous avez très bien fait votre personnage de Turc. Reste à savoir si je me suis acquittéeb aussi bien de celui de sultane : « Des mains d’Oscar j’ai reçu le mouchouarre [1]. Brûlez pour lui des parfums d’Arabie. Oscar s’avance Oscar je vais le voiarre [2] » [3]. Tout ce que sais très bien c’est que j’ai été très heureuse et que je voudrais que ça durât toujours. Je pense qu’il faut que j’écrive à Mme Kraft pour sa fête et que je suis déjà en retard. Ah ! Ben tant pisc si j’ai trop mal à la tête je n’écrirai que demain. Ce n’est pas comme à vous mon amour, il n’y a pas de mal de tête qui tienne jusqu’à ce que je vous ai gribouillé tout mon petit bavardage. Je ne serais pas tranquille sans ça. Et puis je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 33-34
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « complette ».
b) « acquité ».
c) « pire ».


9 août [1842], mardi après midi, 3 h. ¾

Vous avez fait la coquette avec moi tantôt, mon cher petit scélérat, quoiquea vous sachiez très bien que vous êtes ravissant en BUSULBAN, en BAHOBÉTAN, en OTTOBAN voire même en CHIDOIS. Oh bais Bonsieur, vous êtes charbant [4]. J’espère, maintenant que vous avez jeté votre perruque par dessus les moulins [5], que vous viendrez plus souvent car en vérité il n’y a pas d’eau à boire à vous voir si peu. Vous avez d’autant plus tort que ça vous ferait du bien de venir déjeuner tous les jours avec votre vieille Juju. Je vous assure que ça vous vaudrait mieux pour votre SINOVIE [6] que la douche et que tous les gargarismes d’alun. Pour moi-même, mon Toto, cela m’irait doublement, triplement en multiples et par millions, milliards et milliers de fois bien pour ma santé et pour mon bonheur. Enfin si vous ne le pouvez pas je me résignerai comme toujours mais non sans murmurer contre le bon Dieu qui met tant d’obstacles entre deux pauvres cœurs qui s’aiment de toute leur âme. C’est bête comme tout ce que je te dis là [7] et cependant je sais très bien ce que je veux dire. Je t’aime mon adoré. Je t’aime comme un cher ange que tu es.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 35-36
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « quoi que ».

Notes

[1Graphie fantaisiste de « mouchoir ».

[2Graphie fantaisiste de « voir ».

[3Premier couplet de la chanson populaire Oscar (anonyme) : « Il va venir le sultan que j’adore, / Ce seul espoir fait palpiter mon cœur, / Et dans ses bras, jusqu’au sein de l’aurore, / Je goûterai la coupe du bonheur. / Chantez, enfants du rivage d’Asie, / Des mains d’Oscar j’ai reçu le mouchoir ; / Brûlez pour lui les parfums d’Arabie, / Oscar s’avance, Oscar, je vais le voir. ». Victor Hugo mentionnera d’ailleurs ce couplet dans Les Misérables (I, III, 2. Double Quatuor) en présentant les quatre jeunes gens qui séduiront Fantine et ses amies : « C’étaient quatre Oscars quelconques ; car à cette époque les Arthurs n’existaient pas encore. Brûlez pour lui les parfums d’Arabie, s’écriait la romance, Oscar s’avance, Oscar, je vais le voir ! » (Les Misérables [1862], Le Livre de Poche, 1998, p. 183).

[4Imitation de la prononciation enrhumée de « musulmans », « mahométan », « ottoman » et « chinois ».

[5Jeu de mots sur l’expression « jeter son bonnet par dessus les moulins », qui peut signifier donner sa langue au chat ou braver les bienséances. « Bonnet » est remplacé par « perruque », allusion à la perruque d’académicien de Hugo, sujet de nombreuses menaces et plaisanteries au sein du couple.

[6La synovie est un liquide présent dans les articulations et aidant à leur bon fonctionnement. Victor Hugo souffrait de goutte aux pieds et à la main.

[7« C’est bête comme tout, ce que je te dis là » : ainsi s’adresse don César au laquais, dans Ruy Blas, acte IV, scène 3.

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