18 mai [1845], dimanche matin, 9 h. ½
Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon petit Toto ravissant, bonjour, je t’aime, et toi ? J’étais bien réveillée cette nuit, cela ne t’a pas empêché de t’en aller tout de suite. Je ne grogne pas, mais je peux bien dire ça peut-être. C’est bien le moins. Pourquoi a-t-on fait la révolution de JULIETTE si ce n’est pour avoir la faculté de dire de temps [en] temps qu’on ne voit pas assez son Toto ? Voilà pourquoi je me suis fait TUERa à cette même révolution. C’est pour avoir le droit de vous RÉVOLUTIONNER à mon tour quand vous êtes des siècles sans venir et que vous vous en allez trop vite.
Je vous dirai que je me suis enduite de votre pommadeb et que je m’en trouve fort bien. C’est moi, du reste, qui vous l’avais enseignée. Toutes vos raffineries vous viennent de moi, malheureusement, puisque j’ai pris en sens inversec toutes vos IMPERFECTIONS. Maintenant je ne peux plus m’en dépêtrer, à mon grand dam et grand regret. Une autre fois j’y regarderai à deux fois avant de vous enseigner mes FICELLES et de prendre vos habitudes collégiennes. En attendant, vous possédez les miennes et j’ai les vôtres. Horreur ! Damnation ! Malédiction ! Baisez-moi, cher scélérat et soyez-moi bien fidèle si vous tenez à votre vie.
Tâche de venir de bonne heure aujourd’hui, mon Toto. Je t’ai à peine vu hier, quoique tu sois venu trois fois. J’ai besoin de me rabibocher aujourd’hui. Je t’attends de toutes mes forces et je te désire de tout mon amour. Je te baise, je t’aime, je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16359, f. 189-190
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « je me suis fait tuée ».
b) « votre pomade ».
c) « sens invers ».
18 mai [1845], dimanche après-midi, 3 h.
J’ai beau te désirer, mon cher amour bien-aimé, tu n’en viens pas plus vite. Je me venge en t’écrivant le plus que je peux et en t’aimant de toutes mes forces. Je crois que tu travailles, mon pauvre bien-aimé, aussi je suis très raisonnable et très courageuse. Je ne me plains pas, je te souris et je t’aime à travers mon impatience que je ne peux pas modérer.
J’ai écrit à Claire tantôt [1] pour lui dire que j’irai la voir jeudi et qu’elle se tranquillise à l’endroit de son examen [2]. Dans le fond de ma pensée, je crains qu’elle n’échoue encore cette fois-ci. Mais je me garde bien de le lui laisser voir. Entre nous, ce serait très fâcheux, non pas tant pour les petits appointements auxquelsa elle aurait droit, que pour le découragement et le chagrin que cela lui ferait. Ce serait payerb bien cher une jeunesse dissipée et l’honneur de ressembler à Monsieur son père et à l’illustre PAIR Rambuteau de drolatique orthographe. Je ne parle pas de moi parce que mon ignorance n’est pas un fait qui ne soit entièrement personnel. J’aime à croire que si on m’avait mise à même l’écuelle de l’enseignement, j’en aurais pris suffisamment pour ma consommation particulière. C’est une idée que j’ai comme ça. D’ailleurs, qu’est-ce que cela te fait à toi, pourvu que je t’aime plein mon cœur, plein ma pensée et plein mon âme. Tu ne tiens pas à mon français plus ou moins bas breton et tu as raison. Baise-moi, mon Victor, et viens tout de suite si tu veux que je te sourie.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16359, f. 191-192
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « auquels ».
b) « payé ».