Guernesey, 25 avril 1860, mercredi 8 h. du matin.
Bonjour, mon cher adoré, bonjour en amour et en paix malgré la furie du vent et la bourrasque de pluie qui secoue ma maison et bat mes vitres en ce moment. Quel temps, mon Dieu ! On dirait que le ciel pleure toutes les larmes de son corps et que ce sont les âmes des damnés qui grincent et qui hurlent sous le fouet des diables. Il serait bientôt temps que le bon Dieu vienne mettre le holà dans tout ce vacarme et qu’il fasse rentrer dans l’ordre le printemps et l’hiver aux prises et se trépignant sur nos pauvres carcasses rhumatiques. Quant à moi j’en crains tant les éclaboussures de cette pile de horions que je n’ose plus mettre le pied dehors ni le nez hors de mes couvertures. Je t’engagerais presque à en faire autant si je ne pensais pas que ton lucoot est un mauvais abri et surtout si je ne sentais pas que je ne peux pas me passer de te voir tous les jours et plusieurs fois par jour ; que c’est toi ma vraie vie ; que ton sourire est mon joyeux printemps et que ton divin regard est le soleil de mon âme. Aussi je te prie mon bien-aimé de venir le plus tôt que tu pourras travailler auprès de mon feu. Jusque-là tâche de te garantir de ton mieux contre toutes les brutalités et les violences de ce temps inhumain. En t’attendant je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 93
Transcription de Claire Villanueva