19 avril 1860

Guernesey, 19 avril 1860, jeudi matin, 8 h.

Bonjour, mon divin bien-aimé, bonjour. Cache-toi bien dans tes couvertures car il fait un froid féroce ce matin, j’en ai les doigts glacés et morts. Comment as-tu passé la nuit, mon cher bien-aimé ? As-tu bien dormi ? Moi j’ai ronronné assez bien et je me porte à merveille ce matin. Tout à l’heure je vais me lever pour faire faire MON MÉNAGE afin de recevoir M^me Duverdier tantôt dans une chambre irréprochable. La Scélérate^a n’y a pas tenu et il a fallu qu’elle satisfasse sa curiosité bon gré mal gré. Mais, quoi qu’elle fasse, je ne me prêterai pas à une plus intime connaissance. Je veux laisser à M^me Hugo l’entier petit groupe qu’elle a auprès d’elle sans en distraire qui que ce soit. Du reste je suis ravie que la visite de cette bonne et obligeante femme ait été pour moi l’occasion de t’offrir ce pauvre verre raccommodé que j’ignorais être de quelque intérêt pour toi. Quant à moi, c’est avec la patience de mon amour pour toi que j’ai réussi à assembler tous les morceaux de ce verre que nous avions acheté ensemble et qui faisait partie^b de ma précieuse collection de doux souvenirs. Le méchant hasard avait voulu profiter de sa fragilité pour le détruire mais il avait compté sans ma pauvre persévérance : ATTRAPÉ^c ! Maintenant il est à toi comme mon cœur, comme mon âme. En attendant que tu lui fasses l’honneur d’une place chez toi je vais le mettre dans une armoire pour qu’il ne lui arrive pas de nouveaux accidents.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16381, f. 87
Transcription de Claire Villanueva

a) « Scélératte ».
b) « parti ».
c) « attrappé ».