Guernesey, 30 mars 1860, vendredi matin, 7 h. ¼
Bonjour, mon grand bien-aimé, bonjour mon sublime adoré ; bonjour avec tous les amours, tous les respects et toutes les admirations, bonjour. As-tu mieux dormi cette nuit que l’autre, mon petit homme ? Il ne faut pas pourtant que l’affaire désagréable de Chenay [1] t’empêche de dormir. Après tout c’est sa faute et sa très grande faute de n’avoir voulu goûter aucun conseil, ni celui du soleil ni le tien. Tant pis pour lui. Une autre fois il se fiera moins à l’improvisation et il regardera à deux fois avant de convertir un honnête homme, fût-ila- le plus grand des poètes, en un affreux monstre. J’espère que tu auras pris ton parti de la leçon dure mais absolument nécessaire que tu as été forcé de donner à ce brave graveur entêté et que tu as passé une bonne nuit nonobstant le petit chagrin que cette exécution te cause.
Mlle Adèle a-t-elle eu un grand succès musical hier [2] ? Je le désire de tout mon cœur pour elle qui travaille si assidument, pour sa mère dont c’est l’orgueil, pour toi, mon bien-aimé, qui t’identifie si complètement aux joies et aux triomphes de tes enfants. En attendant que tu me donnes des nouvelles de la soirée je t’embrasse de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 66
Transcription de Claire Villanueva
a) « fut-il »