Guernesey, 7 septembre 1859, mercredi matin, 8 h.
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour à travers le reste d’hébètement de mon mal de tête, bonjour avec tous les rayons de mon âme. Comment as-tu passé la nuit, mon pauvre petit homme ? Es-tu un peu remis du brouhaha des départs et des arrivées ? J’espère que oui. Maintenant, plus que jamais, il faut prendre garde à ta chère santé, car nous n’avons plus là ce pauvre bon docteur pour te soigner et pour te guérir [1]. Non pas que les médecins manquent ici plus qu’ailleurs, mais les vrais amis sont rares partout et ici plus rares encore que partout ailleurs. C’est du fond du cœur et à travers l’amour sans borne que j’ai pour toi, mon adoré, que je regrette le départ de ce bon et brave ami, et c’est avec toute mon âme que je te supplie de prendre soin de toi et de ne rien faire qui puisse te rendre malade. Dans deux jours, ce sera le tour de mes bretons de s’en aller. Je les regretterai car ce sont de biens bons parents et d’excellents amis mais j’ai eu si peu le temps de m’y acoquiner que le départ ne me sera pas aussi triste que si nous avions eu des relations plus étroites et plus suivies. Cher adoré, mon amour pour toi me rend toutes les autres affections bien pâles et bien faciles à quitter. Je m’en accuse comme d’un tort, quoique ce ne soit pas de ma faute si je t’aime aussi passionnément et aussi exclusivement que je ne puisse rien aimer ni personne qu’à travers toi.
Juliette
Bnf, Mss, NAF 16380, f. 200
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette