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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 juillet [1844], vendredi matin, 10 h. ¼

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour, mon bien-aimé, bonjour, le plus beau et le plus aimé des hommes, comment que ça va ce matin ? Je vais vous apprendre une nouvelle, monseigneur, c’est que le fameux verre bleu vient d’être cassé par ma servarde [1] à l’instant même. J’en suis très vexée, en somme, parce qu’il me rendait service, tout bleu et tout hideux qu’il était. Encore, si c’était vous, j’aurais pu vous le faire payer. Mais avec cette stupide fille, j’en suis pour mes frais de verre cassé et de nez de carton. Taisez-vous, vilain, et ne riez pas de mon malheur, je vous le défends.
Je voudrais savoir comme va notre cher petit Toto [2]. Pauvre petit bien-aimé ! Si celui-là n’a pas de prix, ce sera bien injuste car il est impossible d’être plus courageux et plus assidu que ce pauvre bien-aimé-là. Pourvu qu’il ne soit pas souffrant, c’est tout ce que je demande.
Depuis six heures du matin, on démolit au-dessous de moi le rez-de-chausséea pour en faire une boutique. Je n’ai pas besoin de te dire le tapage Sterling que cela fait chez moi. Mais comme j’étais très souffrante, je ne m’en suis pas levée plus tôt. Du reste, je vais bien à présent, ce n’était qu’une mauvaise digestion, voilà tout, et si vous vouliez me venir chercher pour aller à Constantinople ou aux Marronniersb [3], vous verriez si je me ferais longtemps attendre. Essayez-en pour voir, rien que pour voir et vous VERREZ.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Il me semble que tu m’as donné une commission hier et je ne peux pas m’en souvenir. Je sais bien que tu viens souper ce soir et j’ai tout fait préparer pour cela, mais je crois que tu m’as dit autre chose encore. Nous verrons cela quand tu viendras ; il est probable que cette commission, si tu me l’as donnée, n’est ni passée ni importante. Ainsi, je ne m’en tourmente pas. Je t’aime, je te désire et je t’espère.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 273-274
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « rez-de-chaussé ».
b) « maronniers ».


19 juillet [1844], vendredi soir, 5 h.

Je vois bien qu’il faut que je me résigne à ne te voir qu’à l’heure de ton souper, mon cher adoré, cela ne me [sourit ?] guère, mais enfin, puisqu’il le faut, je fais tout mon possible pour me résigner. Demain soir, j’aurai ma pauvre Péronnelle [4] qui sera bien heureuse et bien SURPRISE. Je veux que tu lui donnes toi-même son petit bracelet ; la joie qu’elle te devra me fera cent mille fois plus de plaisir que si je lea lui donnais moi-même. Je voudrais que tout le monde t’adore mais je veux aussi que tu n’aimes personne que moi. Voilà ma VOLLONTÉ. Baisez-moi, vilain monstre, et aimez-moi si vous tenez à votre vie.
Que dîtes-vous de cet affreux temps ? Moi, je le bénis aujourd’hui parce que sans lui, je serais aveuglée par la poussière des démolitions tandis que je n’ai rien à craindre que les araignées que les maçons et la pluie forcent à se réfugier chez moi. Depuis ce matin, Suzanne et moi, nous sommesb à la chasse. Aimable occupation ! J’ai essayé de nettoyerc les gants de suède avec de la mie de pain mais cela ne m’a pas réussi. Je ne sais pas s’il y a un moyen de les décrasser mais je ne le connais pas. Tu verras, du reste, si tu les veux. Tu n’es pas forcé de les prendre. Je suis honteuse de la platitude et de l’insignifiance de ma lettre, mais que veux-tu que je te dise, mon Victor adoré, après t’avoir dit que je t’aime ? Je n’ai pas l’esprit inventif, tant s’en faut, et je l’aurais que mon amour l’absorberait tout entier sans en rien laisser. Il faut te résigner, puisque que tu veux que je t’écrive deux fois par jour, à lire toutes mes stupidités ou ne me laisser dire que ces quatre mots : mon Toto, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 275-276
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « la ».
b) « nous somme ».
c) « nétoyer ».

Notes

[1Suzanne.

[3Les Marronniers est un restaurant réputé de Bercy.

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