Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1842 > Novembre > 10

10 novembre [1842], jeudi matin, 9 h. ½

Bonjour mon cher bien-aimé, bonjour mon cher amour, comment vas-tu, comment vont tes yeux, comment va ton cœur ? Suis-je toujours en rivalité avec ? Pauvre Cocotte, elle me boude ce matin, elle ne veut pas sortir de son sabot et fait mine de vouloir me mordre dès que je lui présente le doigt alors je m’abstiens. Je n’essuierai pas de la famine aujourd’hui parce qu’elle a l’air trop triste et trop malheureuse de la correction d’hier. Je ne veux pas accumuler les punitions parce que je ne crois pas que ce soit d’un effet bien sympathique. Je veux essayer de la clémence et de la douceur pour voir si je parviendrai à dompter cette petite féroce, mais j’en doute ; cela m’a tout l’air d’une haine insurmontable. Je désire que Dédé soit plus heureuse que moi [1].
Suzanne n’est pas encore revenue de chez Eulalie. J’espère qu’elle ne tardera pas à présent. Je l’enverrai ce soir chez Mme Pierceau, cela fait que tu pourras changer de gilet, ce ne sera pas malheureux ! Pourvu que ton tailleur ne te manque pas de parole pour demain car il serait bien TRISTE DE MANQUER d’aller voir ce pauvre malade [2]. Je suis poursuivie par une espèce de remords depuis trois jours que je ne l’ai vu après cette horrible scène, j’aurais dû y aller d’autant plus. Enfin, Dieu sait que ce n’est pas le désir et la volonté qui m’ont manqués mais il y a une autre volonté contre laquelle la mienne n’est qu’un fétu de paille. C’est la vôtre, mon cher petit tyran. Cependant, je compte sur vous demain, mon cher amour, pour me mener auprès de mon père.
Voici déjà tes manches. Cocotte est sortie de sa cage mais elle n’en est ni plus gaie ni plus aimable. Pauvre petite bête, le VENDREDI lui a porté malheur. Enfin, la maison et les bras de Dédé ne lui manqueront pas, c’est tout ce qui faut si vous voulez m’aimer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 211-212
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette


10 novembre [1842], jeudi soir, 5 h. ¼

La ne s’est pas radoucie depuis ton départ, au contraire, car tout à l’heure lorsque je m’approchais dans la direction de sa cage elle se jetait à travers les barreaux pour me mordre avec des cris de fureur. Il faut absolument essayer de la sevrer de toutes espèces de caresses pendant quelques jours, qu’elle sente le prix de mon AMITIÉ et de mes gâteaux. Hélas ! ce n’est pas seulement de ça dont elle est affriandée, et voilà pourquoi notre fille est muette [3] et veut absolument me dévorer. Cependant, elle ne vous a pas vu dans vos grands atours. Décidément, cette Cocotte est très dévergondée et je crois que je perdrai mon temps et bien des petits morceaux de ma carcasse à vouloir la moraliser. Je vous la donnerai le plus tôta possible pour n’avoir pas ce scandale sous les yeux.
J’ai envoyé tout à l’heure Suzanne chez Mme Pierceau chercher tes gilets. J’espère qu’ils seront faits ou qu’il sera fait car sur les deux il y en a un qui ne lui aura pas donné grand mal.
Je compte sur toi bien sûr pour demain, mon cher bon ange. C’est bien du fond du cœur que je te le demande, mon cher adoré car rien ne m’est plus pénible que de penser que mon pauvre père peut se méprendre sur mon absence.
Je t’aime, mon Victor adoré, j’ai le cœur plein de tristes pressentiments mais je ne t’ai jamais plus aimé. Je voudrais mourir pour toi. Ô c’est bien vrai, mon Dieu, vous le savez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 213-214
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « plutôt ».

Notes

[1Juliette a pour projet de donner sa Cocotte à Adèle Hugo, fille de Victor Hugo.

[2L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est gravement malade. Juliette, qui le considère comme son père, a à cœur d’aller lui rendre visite régulièrement. Victor Hugo n’a cependant pas pu l’y mener la veille et, étant donné qu’il est à l’Académie ce jour-ci, Juliette espère qu’il pourra l’y mener le lendemain.

[3Citation du Médecin malgré lui de Molière.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne