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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 octobre [1842], mercredi après-midi, 2 h. ½

Il paraît que vous avez trouvé votre homme, comme vous dîtes, mon amour, puisque vous n’êtes pas venu ? J’avais bien envie de croire que votre homme n’était qu’une femme mais ce serait si infâme que je me suis arrêtée en route. J’aime donc mieux, à tout événement, vous croire avec un Guyot [1] quelconque qu’avec une Guyotte de contrebande. Pauvre amour adoré, il est impossible que tu me trompes parce que je t’aime trop et que j’en mourrais et que tu es trop bon, trop noble et trop au-dessus des autres hommes pour vouloir la mort d’une pauvre femme qui a mis toute sa vie, tout sa joie et toute son âme dans ton amour. Aussi, mon cher bien-aimé, je suis tranquille, si non patiente, je t’attendsa avec confiance et je te désire de tout mon cœur. Tâche de venir avant ce soir, mon Toto chéri, la journée me paraîtra moins longue. Je vais vous CORMODER votre ceinture tout à l’heure. Quoiqu’il fasse très beau, j’allumerai un peu de feu parce que le froid de pied et le mal de tête sont en permanence chez moi. J’aurais bien désiré marcher avec toi mais il n’y a pas beaucoup d’apparence que tu puissesb me faire sortir aujourd’hui. Hier, tu me l’as proposé mais avec une espèce d’instinct du bonheur qui devrait m’arriver. J’ai refusé. QUEL BONHEUR !!! Il y avait longtemps que je ne m’étais trouvée à pareille fête. Mon Dieu que c’est donc beau !!! Merci, merci, mon adoré bien-aimé, tu seras admiré par tous ceux qui verront ta pièce mais jamais personne ne l’écoutera avec autant d’amour et de ravissement que ta pauvre vieille Juju hier au soir [2]. Je t’aime, mon Victor, depuis dix ans, toujours plus, jamais MOINS. Tu es mon noble et sublime poète, tu es mon doux et charmant Toto, je t’aime. Je baise tes chers petits pieds. Je voudrais être à ce soir pour baiser ta belle bouche rose.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 151-152
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « je te t’attends ».
b) « puisse ».


5 octobre [1842], jeudi après-midi, 4 h. ½

Vous êtes à l’Académie, mon cher petit homme, tâchez de n’aller que là [3] et de me revenir le plus vite possible. Je suis déjà très très affaméea de vous. Je n’en peux plus d’amour pour vous, avec mille fois plus de raison que ce cher petit gamin qui se sert de ses expressions [illis.] sans en connaître la portée. Moi je sais très bien ce que je dis et ce que je sens et je vous répète que je n’en peux plus d’amour pour vous et qu’il faut que vous reveniez tout de suite. Je ne sais vraiment pas pourquoi je vous écris, si ce n’est pour ma conscience et pour mon plaisir particulier, car vous ne lisez pas tous ces gribouillis, mais même vous ne vous donnez pas la peine de les emporter. C’est égal, je recontinue de plus belle et avec d’autant moins de gêne que je sais que vous ne verrez pas un traître mot de toutes les bêtises que je vous écris. Toto, cher petit Toto, je vous aime de toute mon âme, vous êtes mon astre éblouissant, vous êtes la fleur de mon âme, vous êtes mon bien-aimé que j’admire et que j’adore. Je pense à vous le jour, je rêve de vous la nuit. Vous êtes toute ma vie et tout mon bonheur. Je vous aime. Je vous aime. Je vous aime.
Voilà un bien beau temps pour notre petit petit Toto et qui va achever sa guérison [4]. Pauvre cher petit, ce sera une bien grande joie et un bien grand bonheur pour nous tous que le jour où il n’y aura plus trace de sa trop longue et trop cruelle maladie. Ce jour-là, je veux que tu me donnes unea CULOTTE un peu FONCÉE ou je me fâche pour de bon et pour toute la vie et les jours. Je ne l’aurai pas volée, je crois, car depuis deux ans, Dieu sait qu’en fait de culottes [5] je n’ai même pas eu la simple feuille de vigne de la nature. C’est affreux. Taisez-vous. VA DONC. Vous pensez bien, mon amour, que tout ce que je vous dis là, ça n’est pas ENTRE NOUS puisque je suis sûre que vous ne lirez jamais ce gribouillis. Ca ne m’empêche pas d’y mettre un million de baisers à moisir dedans.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 153-154
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « un ».

Notes

[1On ne sait s’il s’agit du Guyot agent dramatique, ou du libraire Adolphe Guyot.

[2Victor Hugo a achevé la deuxième partie des Burgraves le 2 octobre.

[3Les enfants de Victor Hugo, ainsi que sa femme, sont partis entre le 24 et le 25 août s’installer pour quelques mois à Saint-Prix dans le Val d’Oise.

[4François-Victor Hugo se remet d’une grave maladie pulmonaire.

[5Jeu de mots sur les deux sens du mot « culotte » (sous-vêtement, ou repas festif).

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