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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 mars 1837

7 mars [1837], mardi, midi ¾

Bonjour, cher bien aimé Toto. Je t’aurais déjà écrit, mais au moment de le faire je n’avais pas de papier et tu connais la célérité de ma servante. Je t’aime, mon beau et bon petit homme. J’ai été bien heureuse de voir cette nuit que tu allais mieux. J’ai eu un instant bien peur avant que tu ne vinsses. Quel bonheur de te savoir bien portant et heureux, car tu l’es n’est-ce pas ? Je t’aime tant, je te suis si fidèle et si dévouée que tu dois sentir la joie d’avoir une âme toute entière à toi et pour toujours.
Tu m’as promis, mon cher bien-aimé, de me faire finir tona cher petit portrait. Je voudrais que ce fût le plus tôt possible. Tâche donc d’en parler à N.  [1], aussitôt que tu le verras. Je t’en remercierai bien gentiment.
Ma foi, j’ai envoyé la lettre de François à la poste ; à force de trois sous, nous en tirerons peut être une réponse quelconque.
Jour [mon  ?] Loto. Avez-vous bien passé la nuit ? La mienne a été bonne, surtout en comparaison de l’autre. Je ne me suis réveillée qu’à midi, je m’étais endormie à 3 h. ½ du matin, je serais déjà levée, n’était la lenteur incroyable de Suzette.
Dis donc mon petit homme chéri, il me semble qu’il fait bien beau aujourd’hui et qu’il fera encore très beau ce soir, passoir [2], toujours l’écho.
Oh bien vous êtes un vieux bête et un [illis.] vieux avare. Voilà. Mais ça m’est égal, plus vous me ferez de sottises et plus je vous aimerai et plus je vous adorerai hein… Attrape cela et mets le dans ton journal, ainsi que tous les baisers que je prends la liberté de déposer sur toutes les coutures de tes habits.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 245-246
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « ton ton ».


7 mars [1837], mardi après midi 4h ½

Si je ne t’avais pas vu si gai et si gaillard cette nuit, mon cher bien-aimé, je serais à l’heure qu’il est bien inquiète et bien tourmentée, tandis que je ne suis qu’impatiente et désireuse de te voir le plus tôt possible.
Jour, mon petit homme adoré. Jour. Je t’aime de toutes mes forces et de toute mon âme. Je te copierai ton Cardinal [3], du moins tout ce que tu auras marqué : car pour moi je trouve tout si beau que j’ai peine à distinguer ce qui le surpasse.
Mon bon petit bien-aimé, il me semble que tu pourrais bien venir un peu plus vite, car enfin tu ne travailles pas tous les jours et depuis le matin jusqu’au soir. J’ai tant besoin de ta présence pour vivre qu’il y a presque de la cruauté à toi à me la donner si peu et si peu souvent.
J’ai toujours mon malaise et surtout mon mal de tête. Cela tient, je crois, au genre de vie que nous menons depuis si longtemps, qui est tout aussi contraire à la santé qu’au bonheur. Enfin mon intention n’est pas de te gronder, et encore bien moins de t’ennuyer, ainsi je brise là mes doléances.
Toujours est-il que je t’aime, et toujours davantage. Ceci peut très bien se faire à ton insu et sans te causer le moindre dérangement, aussi j’en use et j’en abuse vis-à-vis moi-même.
Je t’aime comme une folle que je suis et je baise ta bouche et tes yeux comme si je n’avais pas [illis.] de les croire insensible à mes caresses et à mon amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 247-248
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette


7 mars [1837], mardi soir, 7 h. ¾

Merci, mon bon petit bien-aimé, de ta chère petite lettre. Je ne peux pas m’empêcher d’y répondre tout de suite, bien que je sente mon impuissance à exprimer ce que je sens pour toi d’ineffable amour et d’admiration. Cependant il est bien certain que je sens ces deux sentiments mieux que qui que ce soit au monde. D’où vient donc que je réussis si mal à le dire, la raison que je me donne est trop facile pour que ce soit la vraie, je crois au contraire que ce n’est pas tant la bêtise et l’ignorance que l’excès même de mon amour qui me lie la langue et l’esprit. Toujours est-il que je t’aime d’une façon toute distinguéee et digne de toi, tandis que je l’exprime comme le ferait la dernière des grisettes ou femme du commun. Bah ! ça ne fait rien, tu es au dessus de toutes les richesses de style, toi. Ce qu’ilb te faut, c’est un cœur bien à toi, une pensée rien qu’à toi, une vie rien que pour toi et tu as tout ça en m’ayant, quant aux Sévigné, c’est plus commun, mais pas si bon et tu fais bien de t’en tenir à ta pauvre bretonne [4] et à ses gros sabots.
Quelle bonne lettre, quelle bonne petite lettre. QUEL BONHEUR ! merci mon Toto, merci mon adoré, merci mon roi, merci mon cher petit amant.
Quand viens-tu coucher avec moi ? La question est un peu féroce n’est-ce pas ? Mais moi je n’y vais pas par quatre chemins, si j’ose m’exprimer ainsi et ce n’est qu’au lit que je me sens de force à lutter avec toi pour l’abondance et la richesse d’expression qui me manque absolument chaussée et [corsée  ? [5]] parce que je t’aime, parce que je t’aime et parce que je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 249-250
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « distingué ».
b) « qui ».

Notes

[2Passoir est un restaurant chic qu’elle fait souvent rimer (d’où « l’écho ») avec « pas ce soir », pour indiquer que Victor Hugo repousse l’accomplissement d’une promesse de l’y emmener.

[3On peine à identifier l’œuvre ainsi désignée.

[4Juliette, née à Fougères, est d’origine bretonne.

[5Faut-il lire « corsée » pour « corsetée » ?

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