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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 février [1837], mercredi, midi ½

Mon pauvre petit bien-aimé, comment vas-tu ? Je suis inquiète car tu avais l’intention de passer la nuit à travailler et dans cette saison c’est plus qu’imprudent, sans parler de la tristesse et du chagrin que tu t’efforçais de me cacher et que j’ai vainement essayé de distraire. Aussi, mon pauvre ange, suis-je tourmentée au dernier point.
Voici cette insignifiante Mme Guérard qui m’écrit qu’elle vient aujourd’hui dîner chez moi. Je n’ai pas le temps de lui répondre pour l’en empêcher, mais j’aurais préféré être seule avec toi, et seule à t’attendre.
Pauvre bien-aimé, si jamais homme fut aimé, si jamais homme fut adoré, c’est toi. C’est toi, par moi, par moi qui ne pense et ne vis qu’en toi, même dans mes rêves.
J’en ai fait un cette nuit, fort triste et fort douloureux, heureusement qu’en me réveillant j’ai eu la consolation de me dire : que tout songe tout mensonge et c’est une vérité plus vraie qu’on ne peut se l’imaginer au premier abord.
Ainsi toi, si bon, si doux, si dévoué, si généreux en réalité, tu es presque toujours, dans mes rêves, dur, cruel et ingrat envers moi. Tu vois donc bien.
Mon cher adoré, mon divin Victor, je t’aime, je pense à toi sans cesse, je voudrais me rendre utile et nécessaire à ta vie, je voudrais avoir l’occasion de te donner ma vie. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 193-194
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette


22 février [1837], mercredi, 5 h. du soir

Mon cher bien aimé, Mme Guérard vient de ressortir pour aller dans le voisinage, et j’en profite pour te dire que je t’aime du plus profond de mon âme.
Elle m’avait demandé dans sa lettre d’aller à Saint Antoine, mais lorsqu’elle est venue, je lui ai fait comprendre que je ne voulais pas, que je ne pouvais pas l’y accompagner, ce qu’elle a très bien compris du reste.
Le chat vient de nous faire une peur atroce en renversant la petite boite en laque, l’encrier, l’encre, les pains à cacheter ; enfin il est très heureux que rien n’ait été cassé au milieu de tout ce fracas.
Chère âme, je ne te vois pas et je suis tourmentée et triste plus que je n’ose te le dire. Viens le plus tôt possible, mon cher adoré, pense aussi un peu à moi, pauvre femme qui ai mis en toi toute ma vie, toutes mes pensées, tous mes intérêts et toutes mes affections. Et que lorsque je suis longtemps sans te voir, surtout dans les circonstances tristes de ta vie, je me tourmente et je crois que tu ne m’aimes pas puisque tu ne viens pas me faire partager ton chagrin.
Je t’attends mon pauvre amour avec impatience, avec toute mon âme et toute ma sollicitude sur les lèvres et dans les yeux.
À bientôt O n’est-ce pas ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 195-196
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette


22 février [1837], mercredi soir, 9 h. ¾

Je n’ai pas pu te caresser, ni savoir comment tu allais, devant cette Mme Guérard. Mais mon pauvre bien-aimé j’en ai assez vu pour être inquiète, car tu paraissais bien souffrant et bien abattu. Pauvre enfant, quel triste jour dans notre vie, car j’ai l’ambition de partager toutes tes peines et quelques unes de tes joies. Tu as dû bien souffrir aujourd’hui à cette triste cérémonie [1]. Au reste moi-même, j’étais si troublée pendant la journée que je ne savais pas ce que je faisais et que toute la soirée s’en est ressentie. M. Guérard est venu chercher sa femme et ils s’en sont allés à 9 h. Tu n’avais pas besoin, comme dit le célèbre barbier, de l’accident qui t’est survenu. Et quoique tu m’aies dit que ce n’était rien, je voudrais le voir pour en être plus sûre.
Il pleut beaucoup, il fait bien mauvais temps. J’espère que cela ne t’empêchera pas de venir, mais cependant si tu es souffrant et si tu as de la fièvre, je tâcherai de me résigner plutôt que de risquer d’augmenter ton indisposition. Prends bien soin de tes entrailles, tu sais aussi bien que moi combien c’est dangereux et à toi surtout. Mon Dieu, mon Dieu, ne te négligea pas au nom du CIEL. Et s’il le faut, je resterai un jour sans te voir plutôt que d’avoir le chagrin de te savoir malade sérieusement, ce que je ne supporterais pas. J’ai là une lettre, je ne sais de qui, mais ça m’est égal. Toi, c’est toi qui m’occupe, à qui je pense et que j’aime comme un pauvre ange bien aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 197-198
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « néglige ».

Notes

[1Enterrement d’Eugène, frère de Victor Hugo, mort l’avant-veille.

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