Jeudi soir, 8 h. 20 m.
Vous avez été bien méchant tout à l’heure, mon petit Toto. Ce n’est pas un reproche que je vous fais puisque c’est passé, mais c’est parce que j’ai le cœur encore tout meurtri de vos mauvais traitementsa que je vous en parle. Ce qu’il y a de bien certain, c’est que, quoi que vous fassiez, vous ne m’empêcherez pas de vous aimer. Ainsi, je vous conseille d’y renoncer. Je mangerais plutôtb tout le globe terrestre avant de perdre un coup de dent de mon amour. Je ne sais pas si c’est à cause que tout mon foyer de calorique s’est réfugiéc dans mon cœur que j’ai si froid sur la peau et dans les os mais je grelotted. Je vais endosser la fameuse robe noire ouatéee, et chausser les fameux brodequins à double couture. Nous verrons si tout cela me remettra en chaleur.
Mon cher petit amoureux, je t’aime. Fais-moi souffrir tant que tu voudras, tu en es le maître, je te reconnais tous les droits sur ma personne, je n’en excepte pas les plus cruels, ni les plus absurdes. Je t’aime. Voilà ce qui fait notre force à tous les deux. Toi, celle d’être injuste et méchant. Moi, celle de tout supporter.
Quand tu liras cette lettre, nous nous serons revus, nous nous serons aimés, nous nous serons pardonné. Je veux que ma lettre soitf un souvenir de toutes ces bonnes choses, de l’amour, de l’amour, et encore de l’amour.
Il fait vraiment trop froid. Si ce temps-là continue, je fais venir demain trois voies de bois. Merci Angelo [1].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16324, f. 47-48
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « traitement ».
b) « plus tôt ».
c) « c’est ».
d) « grellottent ».
e) « ouattée ».
f) « soient ».