Guernesey, 9 mars 1859, mercredi, 8 h. ½
Bonjour, mon cher bien-aimé ; comment vas-tu ce matin ? Moi, je t’aime. Je n’ai pas d’autre réveil, d’autre prière, d’autre santé, d’autre bonheur que ce mot : JE T’AIME. Et cela me suffit pour bénir Dieu de m’avoir créée et mise au monde. J’ai lu ce matin une très jolie chose de ton fils Victor . Cela m’a plu comme une PERSONNALITÉ allégorique de toi, mon grand et sublime poètea, et de moi, la vieille fée en ce monde et la jeune reine d’amour dans l’autre. En attendant cette dernière phase de mon enchantement, il te faut subir le désenchantement de mon hideux travestissement sur cette terre, mon pauvre adoré, ce qui n’est pas une médiocre tâche pour toi ni une mince confusion pour moi.
J’espère que tu as passé une bonne nuit, mon doux adoré, et que nous aurons une bonne petite soirée malgré l’absence presque certaine de notre bon et digne docteur. Quant à moi, je n’ai besoin que de toi exclusivement pour être tout à fait et complètement heureuse. Mais j’ai toujours peur que tu ne te trouves trop seul avec moi. C’est pourquoi, mon bien-aimé, je tâche de recruter des partners pour ton esprit, sans grand succès jusqu’à présent, j’en conviens ; mais ce n’est pas de ma faute et je ne t’en aime que plus pour remplir le vide s’il se peut.
BnF, Mss, NAF 16380, f. 64
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette
a) « poëte ».