C’est toujours à mon tour à t’écrire maintenant – Autrefois, tes lettres appelaient mes lettres – ton amour cherchait mon amour, et c’était bien ainsi – Car comme tu me le dis souvent : « L’homme doit toujours être l’agresseur de la femme » – Il y a toujours un inconvénient à ce que l’un des deux change de rôle – Je le sens bien, moi qui te parle. Je sens bien qu’une caresse première de toi – me donne plus de bonheur et de sécurité que mille caresses que j’aurai provoquéesa –
Il est déjà onze heures et demie, tu ne viens pas – tu ne viendras peut-être pas – et la défense que tu m’as faiteb d’aller voir chez toi ou à l’imprimerie, redouble mes inquiétudes et ma jalousie – Je crains qu’il te soit arrivé quelque chose de malheureux ou quelque invitation de plaisir. J’ai le cœur serré entre ces deux étaux – Je ne crois pas qu’il y ait au monde de supplice plus grand que d’aimer et de craindre –
Je trouve que nous arrangeons mal notre vie – Puisque tu n’es pas libre, toi, que tu peux être empêché de me voir par mille circonstances que nous pouvons prévoir, mais non empêcher – tu devrais au moins me laisser la facultéc de savoir ce que tu fais, où tu es – cela m’occuperait et me tranquilliseraitd – Au lieu de cela, il faut que je t’attende avec toutes les suppositions qui se [illis.] et se déchirent mon cœur. Oh ! je suis bien à plaindre de t’aimer autant. C’est une abondance d’amour qui tuera le corps qui le porte –
Si tu ne m’aimes qu’un peu, prie Dieu de m’ôter l’une de ces deux choses : ma vie ou mon amour.
Juliette
BIENTÔT MINUIT – QUELLE NUIT JE VAIS PASSER – MON DIEU, AYEZ PITIÉ DE MOI.
BnF, Mss, NAF 16323, f. 259-260
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud, Souchon, Massin]
a) « provoqué ».
b) « fait ».
c) « facculté ».
d) « tranquiliserait ».