Vendredi, 9 h. ¾ du soir
Je ne m’étais pas trompéea, le Boulanger [1] est venu ; et à l’heure où je t’écris, il s’enivre de ton admirable pièce, il t’admire. Moi, je t’aime, je t’aime et je t’admire parce que mon amour c’est de l’admiration, et mon admiration c’est de l’amour, comme le soleil qui brille quand il est chaud, qui est chaud quand il brille. Oh ! mais voilà une manière de Sévigné assez féroce comme cela, qu’enb dis-tu ? Pour peu que je continue longtemps sur le même ton, tu t’empresseras de demander une réduction sur la longueur de mes épîtres, ce que je t’accorderai tout de suite jusqu’à concurrence de cette phrase : mon Toto, je t’aime. Parce qu’il m’est aussi impossible de ne pas t’écrire que je t’aime, qu’il m’est impossible de t’écrire quelque chose d’autre qui ait le sens commun. Ce n’est pas ma faute si j’ai un cœur à la place d’esprit, de l’amour à la place de style.
Enfin, et pour ne pas prolonger ton ennui, je te dirai que j’ai trouvé moyen de faire de cette solitaire soirée, une délicieuse soirée. J’ai luc, relud tout ce que tu m’as écrit. J’ai touchée et retouchéf tout ce que tu m’as donné, non pas depuis que nous nous aimons mais depuis bien longtemps.
Je t’assure que j’ai été bien émue et bien heureuse de retrouver presque toutes les traces de notre amour intactes, car ce que tu m’as écrit il y a 15 mois, tu me l’as écrit hier. Ce que je sentais il y a 2 ans, je le sens maintenant plus fort et plus violent que dans ce temps-là. Je t’aime !
Juliette
BnF, Mss, NAF 16323, f. 235-236
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « trompé ».
b) « quand ».
c) « lue ».
d) « relue ».
e) « touchée ».
f) « retouchée ».