Samedi, 3 h. moins ¼ après midi
Mon pauvre cher Toto bien aimé, quand je te vois si occupé, et d’affaires si importantes, j’ai conscience à ajouter encore à cette fatigue par le récit de mon amour que tu sais par cœur. Si je ne craignais pas que tu te méprennes sur mon silence, je suspendrais mes lettres qui ne sont après tout qu’un abrégé bien froid, une narration bien plate des sentiments les plus tendres, les plus généreux, les plus passionnés, qui sont au fond de mon cœur. Je les suspendrais, dis-je, jusqu’après ta pièce, quitte à reprendre ma revanche ensuite en paroles, en caresses, en actions. Voilà ce que je ferais si tu voulais avoir pour ta chère petite personne le quart de la sollicitude que j’ai pour elle.
Voici qu’il est bientôt 3 h. Cette heure me donne l’espoir que tout se sera bien passé à ta répétition. Il est temps, mon pauvre poète admiré, aimé et adoré, que tu sortes de ce repaire qu’on appelle encore Théâtre-Français. Tu en sortiras à ton honneur malgré le mauvais vouloir de cette vieillea mal emmanchéeb [1], malgré toutes les stupiditésc réunies, malgré toutes les haines et toutes les envies.
Tu verras, mon beau lion, si ces affreux corbeaux oseront coasser devant ton rugissement. Quantd à moi, si quelque chose pouvait me rendre plus fière et plus heureuse, ce serait d’être la seule à te comprendre.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16323, f. 183-184
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud]
a) « vielle ».
b) « enmanchée ».
c) « stupiditées ».
d) « quand ».