Samedi soir, 8 h. ½
Mon cher petit Toto, je t’aime de toutes mes forces, ça n’est pas nouveau, ni bien piquant de la manière dont je te le dis, mais cela est vrai, ce qui a bien aussi son mérite. Tu m’as trouvéea tantôt occupéeb à défendre le plus que je pouvais notre malheureux bien. J’espère avec de bonnes serrures, beaucoup de surveillance, j’espère, dis-je, être volée le plus qu’il leur sera possible : c’est une consolation.
Vous êtes bien hardi d’avoir été chez Jouslin ce matin sans venir me chercher pour y aller avec vous. Il va falloir que je vous remette un peu dans le droit chemin. Il me semble que depuis quelque temps, vous vous émancipez un peu. Et puis c’est que vous n’avez pas l’air de m’aimer du tout. Si vous croyez que c’est là ce qui rend une femme heureuse [1]. Parlons simplement. Je trouve que tu as l’air un peu froid et préoccupéc avec moi, mais je l’attribue à ton travail. Ai-je raison ? Me trompé-jed ? Voilà ce que toi seul peut résoudre. Je t’aimerai tant ce soir, je te le dirai si bien, je serai si bonne et si tendre avec toi qu’il faudra bien que tu y prennes garde, et que tu me rendes un peu d’amour pour beaucoup d’amour. Quand tu liras ma lettre, tu seras dans ta chambre tout prêt à te coucher, je l’espère. Je veux que tu embrasses Toto endormi, ce sera une manière de recevoir un baiser de moi. Je veux aussi que tu dormes bien, que tu te reposes bien pour être à ton poste demain avant l’aurore. P. S. : Je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16323, f. 111-112
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « trouvé ».
b) « occupé ».
c) « préocupé ».
d) « trompais-je ».