BnF, Mss, NAF 16323, f. 64-65 / 6 février

6 février, mardi après-midi, 3 h.

Je ne t’avais pas encore écrit, mon cher bien-aimé, quand M^me Guérard est venue. J’avais été si malade toute la nuit qu’il m’avait été impossible de me réveiller plus tôt. Je ne veux pas reparler de la triste scène d’hier dans la crainte de me redonner de nouveau le chagrin et le découragement qui l’a amenée. Je suis si seule et si malheureuse que ma santé et ma raison s’en ressentent cruellement.
Te voilà parti, mon cher bien-aimé. Je ne sais plus quand je te verrai malgré tes viles^a promesses. Je vais encore passer ma soirée seule comme à l’ordinaire. Allons, voilà que je retombe encore sur la même idée. Je ne peux pas m’en empêcher. Quel malheur, mon Dieu. Tu devrais vraiment, mon cher bien-aimé, me dispenser de t’écrire dans des jours comme ceux-ci où je n’ai que des douleurs à exprimer, que des tristesses^b à raconter. Tu devrais me permettre de ne pas écrire ; mes lettres ne devraient être que le trop plein de la joie et du bonheur, et non le débordement^c de chagrin de toutes espèces. Si tu consentais à cela, tu me soulagerais d’un grand poids^d, car je me mets à la torture pour te sourire et sans pouvoir y réussir.
Bonjour mon cher adoré, bonjour mon bien-aimé. Ce soir, peut-être serai-je moins accablée. A présent, je le suis de manière à ne pouvoir pas espérer des jours meilleurs. Cependant, je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16323, f. 64-65
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « villes ».
b) « tristesse ».
c) « débordemen ».
d) « poid ».