Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1839 > Décembre > 10

10 décembre [1839], mardi après-midi, 1 h. ½

Bonjour, mon petit homme bien-aimé, bonjour mon adoré. Je t’écris bien tard, n’est-ce pas mon chéri ? Mais tu sais à quelle heure je me suis couchée et de plus j’ai eu une digestion très laborieuse que j’attribue à la petite fanfare d’amour que nous nous sommes donnéeb avant ton départ. Je ne regrette pas ma nuit et à ce prix-là je suis prête à recommencer tous les jours et toutes les nuits. Suzanne est allée payer l’épicier et acheter la pommade pour les lèvres. Nous voilà [monter  ?] pour un bout de temps, ce n’est pas malheureux après tout l’argent que tu m’as déjà donné. Je vais tâcher le reste du mois de bien économiser, mon bon petit Toto, entends-tu ? Tiens, tiens, il fume et j’ai mal à la tête, c’est trop des deux madame [1]. Je suis aussi de cet avis et je vais ouvrir la fenêtre malheureusement je ne peux pas en faire autant pour ma tête, je suis obligée de garder mon esprit BOUCHE et mon mal aussi. C’est pas bien amusant. Je ne te demanderai pas de me faire sortir aujourd’hui car tu me refuserais probablement. Je pourrais, il est vrai, dire que je ne veux pas sortir absolument pour que tu m’emmènes de force, mais je dédaigne ce moyen détourné d’obtenir ce que je veux. Je mets ma joie, ma vie et mon bonheur à être ton esclave soumise, ainsi tu peux me laisser six ans dans mon coin pourvu que je te voie et que tu m’aimes, le reste m’est égal et je me moque de l’air, du soleil et de tout. En attendant je voudrais bien vous voir. Je vous adore, mon petit homme. Vous seriez bien i de venir tout de suite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 143-144
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « fanfarre ».
b) « donnés ».


10 décembre [1839], mardi soir, 5 h ½

Surveillez-moi, mon Toto, car je suis furieusement amoureuse… de vous. Qu’est-ce qui est collé ? Réponse : Toto, Toto, Toto, Toto. J’ai raconté à la mère Pierceau la caricature de : « Grand papa, ça fiché de petit maman ». Elle a ri comme une bossue. Je lui ai dit aussi que vous m’aviez acheté une saucière et 4 assiettes et que j’étais très heureuse et elle m’a dit que j’en avais l’air. Oh ! Oui je suis heureuse parce que je t’aime, parce que tu m’aimes, parce que nous nous aimons. Tâche de venir, mon Toto chéri, même sans l’orgie, même sans Madame Galochard [2], rien que toi, toi, toi, toi, ça me suffit. Je ne suis pas difficile comme tu vois. Je voudrais être le petit chien noir de l’autre nuit parce que je te suivrais partout et que je ne resterais jamais à la porte, ce qui me manque, mon adoré, c’est de pouvoir te suivre, te servir et de défendre. Mon rêve, mon paradis, serait de ne jamais te quitter. Hélas, hélas… hélas !
À propos, mon Toto, est-ce que tu ne veux pas me donner à copier jamais ? J’y pense toujours quand tu n’es pas avec moi et j’oublie de t’en parler quand je te vois parce que je n’ai jamais que le temps de te dire que tu es ma vie, ma joie et mon âme. Mais, mon Toto chéri, si tu ne veux pas que je croie que tu es fâché contre moi et que tu ne m’aimes pas il faut me donner à COPIRE tout de suite et tous les jours. Tu verras comme je m’appliquerai bien et quel bonheur ce sera pour moi. Ne me refuse pas, mon adoré, et donne-moi ton bec.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 145-146
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

Notes

[1Jeu de mots et citation d’une réplique de don Ruy Gomez, à l’acte I d’Hernani : « Nous sommes trois chez vous. C’est trop de deux, Madame ».

[2Monsieur et Madame Galochard est un vaudeville de Lauzanne, Duvert et Saintine (1836).

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne